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LETTRES FAMILIÈRES.

dû défendre les asiles sacrés, ne furent point épargnées, et les autels furent souillés d’infamies et de sacrilèges.

Cette nouvelle jeta l’épouvante dans Florence ; le gonfalonier seul n’en fut point effrayé. Plein de confiance dans je ne sais quelles espérances, et dans le dévouement que le peuple lui avait témoigné quelques jours auparavant, il se flatta de conserver Florence, et de contenter les Epagnols en leur prodiguant l’argent, à condition néanmoins que les Médicis demeureraient exclus.

Les envoyés chargés de faire ces propositions remplirent leur mission ; mais ils rapportèrent pour toute réponse qu’il fallait absolument recevoir les Médicis, ou s’attendre à la guerre. Chacun alors commença à craindre pour le sort de la ville, en songeant à la lâcheté que nos soldats avaient montrée dans le siège de Prato : la noblesse, de son côté, augmenta cette frayeur en témoignant ouvertement son intention de changer le gouvernement ; de sorte que le lundi soir, 30 août, à la dernière heure de la nuit, nos envoyés eurent ordre de traiter avec le vice-roi, à quelque prix que ce fut. L’épouvante fut au comble : les habitants qui gardaient le palais et les autres postes de la ville les abandonnèrent avec précipitation, et la seigneurie, désormais sans défense, fut contrainte de relâcher une foule de citoyens qui depuis quelques jours avaient été renfermés au palais sous bonne garde, parce qu’ils étaient suspects de favoriser les Médicis. Ces prisonniers, joints à un grand nombre des principaux de la noblesse qui désiraient recouvrer leur crédit dans l’État, s’enflammèrent de tant d’audace, que le mardi matin ils se rendirent en armes au palais, occupèrent tontes les portes, et forcèrent le gonfalonier à en sortir. Ce ne fut que sur les instances de plusieurs personnes moins emportées que l’on consentit à le laisser s’éloigner sans lui faire violence. C’est ainsi que le gonfalonier retourna à sa maison sous l’escorte de ces mêmes hommes ; la nuit suivante il partit pour Sienne en nombreuse compagnie, et du consentement de la seigneurie.