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LETTRES FAMILIÈRES.

se précipitaient sur la Toscane, qu’il était impossible à notre armée de leur résister. Les condottieri regardaient donc comme une mesure beaucoup plus sûre de se réunir dans Florence même, où, аvec le secours du peuple, l’armée suffirait pour garder la ville et pour la défendre ; cette mesure même permettait de tenter de garder Prato en y laissant un corps de trois mille hommes. Cet avis obtint l’assentiment général, et surtout celui du gonfalonier, qui se crut d’autant plus à l’abri contre les tentatives du parti ennemi, que les forces qu’il aurait autour de lui seraient plus considérables.

Telle était la situation des affaires lorsque le vice-roi envoya ses ambassadeurs. Ils exposèrent à la seigneurie que les Espagnols ne venaient pas comme ennemis dans les États de la république ; qu’ils ne voulaient porter aucune atteinte à ses libertés ni à son gouvernement, et qu’ils n’avaient d’autre but que de s’assurer par eux-mêmes que l’on abandonnerait le parti des Français pour se réunir à la ligne commune, qui ne pouvait nullement compter sur le gouvernement et sur ses promesses tant que Pierre Soderini resterait gonfalonier, parce qu’on le connaissait pour un partisan des Français ; qu’en conséquence, ils demandaient sa déposition, et consentaient à ce prix que le peuple de Florence nommât pour le remplacer celui d’entre ses concitoyens qu’il jugerait le plus digne. Le gonfalonier répondit à ce discours qu’il n’était arrivé à cette place ni par artifice ni par force, mais par la seule faveur du peuple ; qu’en conséquence, quand tous les rois de la terre s’uniraient pour lui ordonner de déposer sa dignité, il n’y consentirait jamais ; mais que si le peuple désirait qu’il la quittât, il le ferait aussi volontiers qu’il l’avait acceptée quand on lui confia une dignité que son ambition n’avait point sollicitée Pour mieux connaître l’esprit du peuple, à peine l’ambassadeur fut-il éloigné, qu’il convoqua tout le conseil, donna connaissance de la proposition qu’on venait de lui faire, et offrit, si tel était le bon plaisir du peuple, et que sa démission fût