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BELPHEGOR

Il tomba sur l’archidiable Belphégor, qui avant d’avoir été précipité du ciel était archange. Quoique peu disposé à se charger de ce fardeau, il se soumit toutefois à l’ordre de Pluton, et se prépara à exécuter ce que l’assemblée venait d’arrêter. Il s’obligea à suivre exactement et de tous points les conditions qui avaient solennellement convenues entre eux. Voici en quoi elles consistaient : on devait donner immédiatement à celui auquel cette commission serait confiée une somme de cent mille ducats, avec laquelle il devait venir ce monde sous une forme humaine, y prendre femme, vivre pendant dix ans avec elle, feindre au bout de ce temps de mourir, revenir en enfer, et rendre compte à ses supérieurs, par sa propre expérience, des inconvénients et des désagréments du mariage. Il fut convenu, en outre, que durant ce laps de temps il serait exposé à toutes les incommodités, et à tous les maux auxquels les hommes sont sujets, et qu’entrainent à leur suite la pauvreté, la prison, les maladies et toutes les autres infortunes, à moins qu’il ne parvint à les éviter par son adresse ou son esprit.

Belphégor, ayant donc accepté les conditions et l’argent, s’en vint dans le monde, et, accompagné d’une suite brillante de valets et de gens à cheval, il entra dans Florence de la manière la plus honorable ? Il avait choix de cette ville entre toutes les autres, parce qu’elle lui parut plus indulgente pour ceux qui aiment à faire valoir leur argent par l’usure. Ayant pris le nom de Roderigo di Castigha, il loua une maison dans le quartier d’Ognissanti. Pour qu’on ne pût découvrir qui il était, il sema le bruit qu’il avait quitté l’Espagne out jeune encore pour se rendre en Syrie, et que c’était à Alep qu’il avait gagné tout ce qu’il possédait ; qu’il était parti dans ce pays pour venir en Italie, afin de se marier dans une contrée plus humaine, plus civilisée, et plus conforme à sa manière de penser.

Roderigo était un très bel homme, qui paraissait âgé d’une trentaine d’années ; le bruit de ses richesses se