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CHANT DEUXIÈME.

colorées, changèrent soudain de couleur et devinrent enflammées,
et je baissai la tête sans répondre.

J’aurais voulu lui dire : « Mon imprudence, une vaine
espérance, une trompeuse idée, m’ont, pour ma ruine,
amené dans ce lieu. »

Mais il me fut impossible de lui adresser ce peu de
mots, tant j’avais tout à la fois honte et pitié de moi-même.

Elle ajouta alors, d’un air plus gracieux encore :
« Eh ! pourquoi crains-tu de t’expliquer au milieu de ces
déserts ? Parle, et dis-moi ce qui trouble ton cœur.

Quoique je conduise cet immense troupeau au
milieu de ces collines solitaires, il y a déjà bien
du temps que je connais toutes les actions de ta
vie.

Mais comme tu pourrais ignorer qui nous sommes,
je te ferai connaître les lieux dans lesquels tu es
tombé, et le pays où tu te trouves.

Lorsque dans les temps passés, et avant que Jupiter
prît en main les rênes de l’empire du monde,
Circé se vit contrainte d’abandonner son antique demeure,

Ne pouvant trouver aucun asile fidèle, ni aucun
mortel qui voulût la recevoir, tant la renommée de
son infamie était partout répandue !

Fuyant l’approche des humains, elle choisit sa demeure
au sein de ces sombres et épaisses forêts, et y
éleva palais.

C’est ainsi que, toujours ennemie des hommes, elle
habite au milieu des rochers solitaires, et se nourrit
des larmes de ce troupeau infortuné.

Et comme aucun de ceux qui pénètrent en ces lieux
ne saurait en sortir, c’est ce qui fait qu’on n’a jamais
su, et qu’on ne sait point encore de ses nouvelles.

Elle a, pour la servir, un grand nombre de jeunes
filles qui seules l’aident dans le gouvernement de ses
États ; et je suis une d’entre elles.

L’éternel emploi qui m’est assigné, est de mener ce