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L'ANE D'OR.

épouvanté d’un spectacle aussi nouveau, je tenais mon
visage tourné du côté où j’entendais ce bruit.

Soudain une femme, éclatante de beauté, pleine de
fraîcheur et de vivacité, vint frapper mes yeux ; des tresses
blondes flottaient en désordre sur ses épaules.

Dans sa main gauche, elle portait un grand flambeau
dont elle éclairait la forêt ; dans la droite elle tenait
un cor dont elle faisait retentir les sons.

Autour d’elle, au milieu de cette plaine solitaire, se
pressait une foule innombrable d’animaux qui venaient
en troupe derrière elle.

C’étaient des ours, des loups, des lions furieux et brutaux,
des cerfs et des blaireaux ; et parmi une infinité
d’autres bêtes sauvages, on voyait un grand nombre de
sangliers.

Ce spectacle ne fit qu’accroître ma frayeur ; et j’aurais
pris la fuite, couvert de pâleur et presque sans vie,
si le pouvoir avait répondu à la volonté.

Mais quelle étoile m’aurait montré le port et où serais-je
allé, moi, pauvre misérable ? Qui m’aurait indiqué
mon chemin ?

Toutes mes pensées étaient confuses. Je balançai si
je devais attendre qu’elle m’abordât, ou si je devais aller
au-devant d’elle avec respect.

Mais avant que j’eusse quitté le tronc de mon arbre,
elle s’approcha de moi, et me souriant d’un air malin :
« Bonsoir, me dit-elle. »

Son salut était si familier, son abord si rempli de
grâce, qu’elle n’en eût pas fait davantage quand elle
m’aurait vu pour la millième fois.

Cet accueil me rassura entièrement ; et ce qui ajouta
encore à ma sécurité, c’est qu’après sa première parole
elle m’appela par mon nom en me saluant.

Elle ajouta ensuite, en souriant de nouveau : « Dis-moi
un peu maintenant, comment es-tu tombé dans
cette vallée, dont le sein n’est cultivé ni dompté par
aucun habitant ? »

Mes joues, qui jusqu’alors étaient restées pâles et dé-