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CHANT PREMIER.

Que pendant l’espace de quatre mois on ne le laisserait
jamais sortir seul, et qu’il aurait toujours avec lui
quelqu’un qui, dans le cas où il prendrait son vol,

Pût le retenir par quelque moyen convenable, en le
faisant apercevoir de son erreur, et en l’engageant à
avoir soin de son honneur.

Cela alla fort bien pendant un mois : plein de douceur
et de sagesse, il ne sortait qu’avec deux de ses frères, pour
lesquels il témoignait beaucoup d’égards et de crainte.

Mais, arrivant un jour dans la rue des Martelli, à l’endroit
où l’on peut apercevoir la Grand’rue, ses cheveux
commencèrent à se hérisser.

Notre jeune homme, à la vue de cette rue droite et
spacieuse, ne put s’empêcher de retomber dans son ancien
plaisir ;

Et mettant de côté toute considération, la fantaisie
de courir lui revint en tête, pareil à la meule du moulin,
qui ne se repose jamais.

Arrivé au bout de la rue, il laissa tomber son manteau
par ferre, et se mettant à crier : Le Christ lui-тете ne
pourrait me retenir, il s’enfuit comme un trait.

Depuis il ne cessa de courir tout le temps qu’il vécut ;
et son père en fut ainsi pour son argent, et le médecin
pour sa science ;

Parce que notre esprit, toujours disposé à suivre son
penchant naturel, ne peut se défendre ni contre l’habitude
ni contre la nature.

C’est ainsi que moi, après m’être habitué à mordre
celui-ci et celui-là, je suis resté pendant longtemps en
repos, plein de douceur et de patience.

N’observant plus les défauts d’autrui, cherchant à
m’instruire d’une autre manière, de sorte que je m’imaginais
être guéri.

Mais les temps où nous vivons sont si remplis de
méchanceté et de corruption, que, sans avoir les yeux
d’Argus, on aperçoit plus facilement le mai que le bien.

Si donc j’exhale maintenant un peu de venin, quoique
j’aie perdu l’habitude de dire du mal, ce sont les