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L'ANE D'OR.

veaux malheurs, on entendra braire ces mots dans tout
l’univers : Malheur à qui me touche !

Toutefois, avant que je commence à vous raconter les
diverses aventures de mon âne, qu’il ne vous déplaise
pas d’écouter un petit conte.

Il y avait jadis à Florence, parmi les anciens habitants
de cette ville, un certain jeune homme dont la famille
n’est point encore éteinte.

En avançant en âge, il lui vint une manie qui le forçait
à courir sans motifs à travers les rues, et sans être
arrêté par aucun temps.

Son père s’affligeait d’autant plus de cet accident,
qu’il était moins instruit des causes de son mal.

Il voulut connaître les diverses opinions d’un grand
nombre de sages ; et, à diverses époques, il lui administra
mille remèdes de mille espèces.

On dit même qu’il le voua, mais inutilement : tous les
remèdes furent vains ; et le jeune homme continua a
courir par tous les temps et dans tous les lieux.

Enfin un certain charlatan, comme on en voit chaque
jour un si grand nombre, promit à son père de lui rendre
la santé.

Or il arrive que l’on croit toujours ceux qui nous promettent
quelque bien ; c’est pourquoi on ajoute tant de
foi aux belles espérances des médecins.

Quoique souvent, en croyant à leur science, l’homme
perde le bien, et qu’il semble que cette secte soit la seule,
parmi toutes les autres, qui vive et se repaisse du mal
d’autrui.

Ainsi donc notre homme ne forma pas le moindre
doute, et remit cette cure entre les mains de ce charlatan,
plein de confiance dans ses paroles.

Celui-ci ordonna au malade cent fumigations par les
narines, lui tira du sang de la tête, et crut alors lui
avoir fait perdre l’envie de courir.

Après avoir fait tous ses remèdes, il rendit le fils a
son père, en l’assurant qu’il était guéri, mais sous les
conditions que je vais vous dire :