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L’ane d’or


CHANT PREMIER.

Je chanterai, pourvu que la Fortune le veuille, les diverses
aventures, les peines et les douleurs que j’ai
éprouvées sous la forme d’un âne.

Je ne demande pas que l’Hélicon répande pour moi
une autre onde que la sienne, et que Phébus dépose
son arc et son carquois pour accompagner mes chants
avec sa lyre ;

Parce qu’on n’obtient point en ces temps une semblable
faveur, et que je suis convaincu qu’il n’est pas
besoin qu’une lyre s’unisse au braire d’un âne.

Je ne recherche ni prix, ni récompense, ni mérite ; je
me soucie encore fort peu d’être mordu par un détracteur
caché ou découvert ;

Car je sais combien la reconnaissance est sourde aux
prières de ceux qui l’implorent, je sais aussi combien
un âne conserve le souvenir des bienfaits.

Je n’attache plus autant d’importance qu’autrefois
aux morsures et aux bastonnades, ayant pris le caractère
de celui que je chante.

Si l’on me pressait plus que je n’ai coutume de l’être,
de prouver ce que je vais raconter, je répondrais que j’obéis
à l’âne sous la forme duquel j’ai vécu.

Jadis toute la ville de Sienne voulut en faire boire un
dans la fontaine Branda ; et c’est à grande force si on
put lui faire avaler une simple goutte d’eau.

Mais si le Ciel ne fait pas tomber sur ma tête de nou-