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ALEXANDRE POUCHKINE.

» Une ondée arrose un instant ses feuilles endormies, et de ses branches tombe une pluie mortelle sur le sol brûlant.

» Mais un homme a fait un signe, un homme obéit ; on l’envoie à l’antchar, il part sans hésiter, et le lendemain il rapporte le poison[1].

» Il rapporte la gomme mortelle, des rameaux et des feuilles fanées, et de son front pâle, la sueur découle en ruisseaux glacés.

» Il l’apporte, chancelle, tombe sur les nattes de la tente, et le misérable esclave expire aux pieds de son prince invincible.

» Et le prince, de ce poison, abreuve ses flèches obéissantes. Elles vont porter la destruction à ses voisins, sur la frontière. »

Le cadre est étroit, mais le tableau est achevé et, si je ne me trompe, la composition a sa grandeur. Voici maintenant un fragment très-court où Pouchkine décrit une scène horrible, sans insister sur ses détails repoussants, et de façon pourtant à laisser l’impression la plus poignante. La pièce est intitulée le Privilégié ; je traduis ainsi le nom de Kromes-

  1. Le latin seul peut donner une idée de la concision du russe : At vir virum — misit ad antchar superbo vultu, — et ille obedienter viam ingressus est, — et rediit mane cum veneno.