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CERVANTES.

térêt s’attache à la cité de Numance, en quelque sorte, comme à un être moral ; et ce n’est que par une multitude d’épisodes isolés que l’on peut jeter quelque variété sur ce drame, qui n’offre, en dernier résultat, qu’une seule situation. Mais si ce sujet semble se refuser à des développements dramatiques, il ne laisse pas de prêter beaucoup à la poésie. C’est ce que Cervantes sentit, et ce qui lui fit chercher de nouvelles ressources. Vouloir concilier la poésie avec le drame est une entreprise peut-être impossible ; la supériorité doit rester à l’un des deux, si, toutefois, par une malheureuse combinaison, ces deux moyens de plaire ne se détruisent pas l’un l’autre.

Dans la Numance, Cervantes ne chercha ses succès que par la poésie, et c’est, je crois, dans cette intention qu’il introduisit sur la scène ces figures allégoriques, qui peuvent et doivent parler le langage des dieux, parce qu’elles sont d’un monde idéal. C’est, à mon avis, tirer une bonne conséquence d’un système mauvais en lui-même. Les chœurs des anciens tragiques, qui fournissent aussi au poëte une occasion d’étaler ses richesses, me semblent mériter l’attention des auteurs de tragédies classiques, qui ne pourraient mieux faire que de les