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L’INSPECTEUR GÉNÉRAL

emporte, ils donnent leur langue aux chiens. On vient à moi. Sur-le-champ voilà des courriers qui partent, des courriers, des courriers… Figurez-vous trente-cinq mille courriers. Quelle situation ! hein ? — Venez prendre la direction, Ivan Alexandrovitch. Moi, je vous avoue, je fus un peu contrarié ; je passe ma robe de chambre. Ma foi, j’avais bien envie de refuser, mais qu’est-ce que dira l’empereur ? Puis, pour mes états de service, vous concevez… Messieurs, je leur dis, j’accepte, je prends le service, je leur dis, je le prends, mais, je leur dis : avec moi… ah ! ah ! avec moi, il ne faut pas… Qu’on ne m’échauffe pas les oreilles… ou bien.. ! C’est bon. Je vais droit à la direction… Tous ventre à terre, tremblants comme la feuille. (Le gouverneur et les employés tremblent de peur. Khlestakof s’animant :) Oh ! je ne plaisante pas, moi. Je ne me gêne pas pour leur donner à chacun leur paquet. Le conseil d’État a peur de moi. Et pourquoi pas ? Moi, je suis… Je ne me soucie de personne, moi… Je leur parle à tous… Je me connais, moi, je me connais bien. Je suis partout, moi, partout. Tous les jours je vais à la cour… Aujourd’hui pour demain on me fera feld-mar… (Il chancelle, et tomberait par terre si les employés ne le soutenaient respectueusement.)

Le Gouverneur, bégayant d’effroi.

Vo… vo… vo…

Khlestakof, se réveillant brusquement.

Plaît-il ?

Le Gouverneur.

Vo… vo… vo…

Khlestakof.

Je n’entends pas… Des bêtises !

Le Gouverneur.

Vo… vo… cellence… excellence… voudrait peut-être se reposer… Elle a sa chambre, et tout ce qui est nécessaire.