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vous faire enrager, je vous laisserai par testament une suite manuscrite de la guzla qui vous a tant fait rire. Vous participez de l’ange et du démon, mais beaucoup plus du dernier. Vous m’appelez tentateur. Osez dire que ce nom ne vous convient pas beaucoup mieux qu’à moi ! N’avez-vous pas jeté un appât à moi, pauvre petit poisson ; puis, maintenant que vous me tenez au bout de votre hameçon, vous me faites danser entre le ciel et l’eau jusqu’à ce qu’il vous plaise, quand vous serez lasse du jeu, de couper le fil ; et alors j’en serai pour l’hameçon dans le bec et je ne pourrai plus trouver le pêcheur. Je vous sais gré de votre franchise à m’avouer que vous avez lu la lettre que M. V… m’écrivait et dont il vous avait chargée. Je l’avais bien deviné, car, depuis Ève, toutes se ressemblent en ce point. J’aurais voulu que cette lettre fût plus intéressante ; mais je suppose que, malgré ses lunettes, vous trouvez M. V… homme de goût. Je deviens méchant parce que je souffre. Je pense à la promesse que vous m’avez faite d’un schizzo, — promesse que vous m’avez faite sans que je l’eusse sollicitée, — et je me sens radouci. J’attends le schizzo