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sonnes, debout, trépignent, frappent des pieds, claquent des mains, hurlent de joie, comme tordues brusquement, dans un accès d’épilepsie. La salle croule sous les applaudissements. Une immense clameur monte, envahit tout.

Mais Jaurès commence à perdre la conscience de lui-même. Telle la Sibylle, qui écumait et se roulait à terre avant de prophétiser, il semble en proie à la fièvre oratoire. Il commandait tout à l’heure à ses auditeurs, les tenait sous son regard et les dirigeait à sa guise. Maintenant, c’est l’auditoire qui le tient, et il subit son influence. Le courant qu’il a provoqué reflue vers lui. Il ne voit plus clairement. Il perd la notion des choses. Et, les poings en l’air, ramassé sur lui-même comme s’il allait bondir, pareil à un athlète qui fait des poids, Jaurès soulève les métaphores les plus lourdes, jongle avec les images, entasse les allégories, multiplie les antithèses, pendant que la foule angoissée attend avec épouvante que le tour de force soit achevé.

Et ça devient tout simplement merveilleux. On voit Jaurès s’élancer vers les nuages avec la légèreté d’un séraphin pour dégringoler tout à coup au fond des océans. Le voici qui nous entraîne vers les splendeurs du pôle. Il faut le suivre. Bientôt nous allons explorer le passé et découvrir le futur. Avec une rapidité vertigineuse, nous allons tenter l’ascension des monts immaculés pour redescendre ensuite aux abîmes où rugit Léviathan. Nous traverserons des oasis de lumière, des forêts d’ignorance, des déserts de pensée ; nous verrons luire, dans le lointain, le phare du progrès, submergé, par moments, sous les nuages épais du mensonge et de l’erreur. Puis, comme un soleil éclatant, la Révolution sociale fera son apparition, tantôt calme, majestueuse, pacifique ; tantôt roulant parmi des fleuves rouges, des lueurs d’incendie et des clameurs. Derrière, s’entre-