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— C’est idiot… C’est la condamnation certaine… Je vais plaider l’irresponsabilité.

Je bondis :

— Ça, par exemple… Essayez… J’interviens pour qu’on vous enlève la parole.

— Nous verrons bien.

— C’est tout vu.

Nous nous enguirlandâmes (hein ! le joli passé défini) pendant un bon quart d’heure. Tout de même, Lafont réfléchit. Il prononça une plaidoirie très mesurée, jonglant avec les textes de loi. Pas la moindre allusion à mon « irresponsabilité ».

Mais Sembat ?

Il me semble le voir encore. Il se leva, souriant, les yeux pétillants de malice derrière les verres de son lorgnon. Il était en veston, très à son aise, comme chez lui. Un murmure approbateur l’accueillit.

— Messieurs les jurés, commenca-t-il, en me coulant un regard de côté, mon client est un jeune homme qui a soif de sacrifice. C’est un type dans le genre de Polyeucte.

Du coup, je sursautai… Je sentais venir la petite rosserie.

— Oui, messieurs, comme Polyeucte, il veut souffrir pour sa foi… Vous connaissez Polyeucte, messieurs les jurés ?…

Un temps. Puis :

— Racine nous dit que Polyeucte…

Hein !… Quoi ?… Racine ?… Je levai les yeux vers Sembat. Je le tirai par sa manche, murmurant :

— Mais non, Corneille…

Il n’entendit pas ou ne comprit pas, eut un geste comme pour me signifier : « Laissez donc !… » Et il reprit :

— Comme le dit Racine…