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suprême désespoir, afin de tout recommencer, — tel est le rêve éternel qui séduit les Russes. Ce rêve vient-il de notre force ou de notre faiblesse ? Il nous est difficile de le décider, c’est à l’Europe de le faire.

En tout cas Tchaadaev qui a écrit, et il semble même, pensé en français, prié en latin, est tout à fait russe par cette force ou cette faiblesse.

Sa première Lettre sur la philosophie de l'histoire fut traduite du français et parut dans le journal de Moscou, Le Télescope, en 1836, dix années après l’exécution des Dékabristes. Au milieu du silence servile et de l’effroi qui régnait alors, cette publication fit l’effet d’une pierre jetée dans une eau , stagnante. Tout s’agita. L’empereur Nicolas s’indigna presque autant de cettre lettre que du Catéchisme Orthodoxe. Le journal fut supprimé, le rédacteur exilé, le censeur révoqué, Tchaadaev par ordre supérieur déclaré « fou ». Il lui fut ordonné de ne pas sortir de sa chambre, et à jours fixes un médecin le visita pour faire un rapport aux autorités sur « l’état de ses facultés mentales ».

Le philosophe Schelling trouva Tchaadaev « l’homme le plus spirituel de la Russie » ; l'empereur Nicolas le trouva « fou ». Et cela se comprend : pour le tsar russe le Royaume de Dieu est, une « infamie », et la sagesse de Dieu une « folie ».