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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

trouvait, apportant un petit cadeau d’œufs frais et de fromage à la crème pour sa chère enfant, comme elle appelait mademoiselle Louise. C’était une vieille paysanne, grande, maigre, ridée, halée jusqu’au noir, mais encore droite et conservant l’aspect de la force.

Je la questionnai sur l’aventure qu’on venait de me raconter et j’eus la satisfaction qu’elle ne se doutait pas avoir été sublime. Elle paraissait presque contrariée de mon admiration et n’était occupée qu’à se disculper d’avoir trompé monsieur le Curé.

« Mais, disait-elle, c’est qu’il est si bête, ce brave homme, à se faire du mal, à se tourmenter pour les autres ! »

Et, comme je la rassurais de mon mieux sur ce pieux mensonge :

« Au fait, monsieur le Curé m’a dit depuis qu’il m’aurait défendu de revenir s’il avait su cette drôlerie, reprit-elle en regardant son bras ; ainsi j’ai bien fait tout de même de le tromper », et elle partit d’un éclat de rire de franche gaieté.

Mademoiselle Louise me dit : « Et Marion, madame, n’en fait pas moins bien le ménage et la bonne soupe que j’ai mangée hier. »

Marion sourit à ces paroles flatteuses, mais, hochant la tête « Ah ! dame, non, ma chère enfant ; je ne suis pas si habile qu’avant, mais ce pauvre cher homme du bon Dieu, ça ne s’impatiente jamais. » J’ai regretté de n’avoir pas vu monsieur Roussel. L’homme « assez bête », comme disait Marion, pour inspirer un pareil dévouement devait être bien intéressant à connaître.

Nous arrivâmes à Turin au moment où la société y était le plus désorganisée. Le Roi n’avait rapporté de Cagliari qu’une seule pensée ; il y tenait avec l’entêtement d’un vieil enfant : il voulait tout rétablir comme en