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MARION

plus tigre que les autres, s’écria : « Hé bien ! nous allons voir », et il abattit d’un coup de sabre le bras qui tenait le panier. Les éclats de rire accueillirent cette action. La pauvre Marion, laissant sa main et la moitié de son avant-bras sur le pavé de la prison, serra sa plaie sanglante dans son tablier et revint chez nous. Ma mère lui donna les premiers soins, tandis qu’on alla chercher un chirurgien pour la panser. Elle montra une force et un courage prodigieux. Bientôt après, ma mère la vit chercher un autre panier et le remplir de nouvelles provisions.

« Que faites-vous là, Marion ?

« — Eh bien donc, j’arrange le dîner pour monsieur.

« — Mais, Marion, vous ne pensez pas retourner là-bas.

« — Eh ! il n’y pas déjà tant si loin. »

« Enfin, quoi qu’on lui pût dire, elle partit, mais rentra au bout d’une minute.

« Vous voyez bien, Marion, que vous n’étiez pas en état d’aller, lui dit ma mère, en lui avançant une chaise.

« — Si fait bien ! merci ; mais, madame Vernerel, je voudrais que vous m’arrangiez ce linge roulé au bout du bras pour y donner la longueur, parce que, si monsieur s’apercevait qu’il manque, cela pourrait lui faire de la peine et qu’il en a déjà bien assez, le pauvre cher homme. »

« Ma mère, touchée jusqu’aux larmes, obéit à Marion. Celle-ci fit à monsieur Roussel l’histoire d’un panaris au doigt qui expliquait son bras en écharpe. Elle ne cessa pas un seul jour ses pieux soins ; il n’apprit qu’à sa sortie de prison la perte de son bras. »

On peut croire que j’éprouvai un vif désir de voir l’admirable Marion. J’entrai dans la chambre où elle se