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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

les troupes abandonnaient. Les fourgons qui suivent un corps autrichien évacuant un pays allié sont curieux à voir par leur nombre fabuleux et par la multitude d’objets de toute espèce qu’ils contiennent pêle-mêle. Ces convois excitaient la colère des peuples italiens, victimes de ce système de spoliation générale.

La nouvelle de l’entrée en campagne sur la frontière de Belgique et de la bataille de Ligny livrée le 16 nous parvint avec une grande rapidité à travers la France et à l’aide du télégraphe qui l’avait apportée à Chambéry. Mais il fallut attendre l’arrivée d’un courrier régulier pour nous conter celle de Waterloo. Après celle-là, celles que nous étions contraints à appeler les bonnes nouvelles se succédèrent aussi rapidement que les mauvaises trois mois avant. Il fallait bien s’en réjouir, mais ce n’était pas sans saignement de cœur.

Le roi de Sardaigne avait la tête tournée de voir le corps piémontais entrer en France avec l’armée autrichienne, et se croyait déjà un conquérant. Sa magnanimité se contentait du Rhône pour frontière. Il donnait bien quelques soupirs à Lyon, mais il se consolait par l’idée que c’était une ville mal pensante.

J’ai déjà dit qu’il était très accessible ; il recevait tout le monde, était fort parlant, surtout dans ce moment d’exaltation. Il n’y avait pas un moine, ni un paysan qu’il ne retînt pour leur raconter ses projets militaires.

Étant duc d’Aoste, il avait fait une campagne dans la vallée de Barcelonnette et avait conservé une grande admiration pour l’agilité et le courage de ses habitants : aussi voulait-il aller prendre Briançon, par escalade, à la tête de ses Barbets, comme il les appelait. Il développa ce plan au général Frimont lorsqu’il passa pour prendre le commandement en chef de l’armée autrichienne. Bubna, présent à cette entrevue, racontait à faire mourir de rire