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LE COMTE DE SAINT-AULAIRE

Sainte-Aulaire, au lieu de rapprocher le ministre du parti aristocratique auquel elle appartenait par sa naissance, l’avait mis dans la société de l’opposition et lui donnait, fort à tort, une nuance de couleur révolutionnaire que les ultras enluminaient de leur palette la mieux chargée.

Je n’oserais pas assurer que leurs cris, sans cesse répétés, n’eussent exercé, à notre insu, quelque influence même sur nous à Londres.

La nouvelle de la retraite de monsieur de Richelieu, à laquelle il ne s’attendait nullement, fut un coup très sensible à mon père. J’ai déjà dit que les affaires importantes de l’ambassade se traitaient entre eux, sans passer par les bureaux, dans des lettres confidentielles et autographes. Mon père n’avait aucun rapport personnel avec monsieur Dessolle et ne pouvait continuer avec lui une pareille correspondance.

Il reçut du nouveau ministre une espèce de circulaire fort polie dans laquelle, après force compliments, on l’avertissait que la politique du cabinet était changée.

Mon père avait déjà bien bonne envie de suivre son chef ; cette lettre le décida. Il répondit que sa tâche était accomplie. Ainsi que le duc de Richelieu, il avait cru devoir rester à son poste jusqu’à la retraite complète des étrangers, les négociations entamées devant, autant que possible, être conduites par les mêmes mains, mais qu’une nouvelle ère semblant commencer dans un autre esprit, il profitait de l’occasion pour demander un repos que son âge réclamait.

Nous fûmes charmées, ma mère et moi, de cette décision. La vie diplomatique m’était odieuse, et ma mère ne pouvait supporter la séparation de mon frère. D’ailleurs, nous nous apercevions que le travail auquel il s’était consciencieusement astreint fatiguait trop mon