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JE FAIS NAUFRAGE SUR LA CÔTE

Le bâtiment était encombré de passagers. La seule petite chaloupe qu’il pût mettre à la mer ne contenant que sept personnes, dont deux matelots pour la conduire, je compris tout de suite que le plus grand danger de notre situation périlleuse était l’effroi qui pouvait se mettre parmi nous et l’empressement à se jeter dans cette embarcation.

Ma qualité de fille d’ambassadeur me donnait d’autant plus d’importance à bord que j’étais accompagnée d’un courrier de cabinet pour lesquels les capitaines des paquebots ont des égards tout particuliers.

J’en profitai pour venir au secours du commandant. Il voulait me faire passer la première ; je l’engageai à placer dans le bateau une mère accompagnée de cinq petits enfants qui jetaient les hauts cris. Un monsieur (je suis fâchée de dire que c’était un français) s’y précipita sous prétexte de porter les enfants, et le bateau s’éloigna.

Je ne nierai pas que les quarante minutes qui s’écoulèrent jusqu’à son retour ne me parussent fort longues. Toutefois le parti que j’avais pris m’avait donné quelque autorité sur mes compagnons de malheur, et j’obtins qu’il n’y aurait ni cris, ni mouvement impétueux. Tout le monde se conduisit très bien. Les femmes qui restaient, nous étions cinq et deux enfants, devaient s’embarquer au second voyage. Les hommes tirèrent au sort pour les suivants. Tout s’exécuta comme il avait été convenu.

Le capitaine m’avait expliqué que le moment du plus grand danger serait celui où la marée tournerait. Si alors le vent poussait à terre, avant que son bâtiment fût gouvernable, il y avait fort à craindre qu’il ne se brisât sur les rochers, si, d’un autre côté, il était assez engravé pour ne pouvoir se relever, il serait rempli par la marée montante. Les deux chances étaient également admissibles, mais nous avions encore un peu de temps devant