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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

mande, d’origine juive, qui n’était pas reçue à Vienne. Cette circonstance lui faisait désirer de rester à l’étranger. Madame Bubna, jolie et ne manquant pas d’esprit, était la meilleure enfant du monde. Elle passait sa vie chez nous. Elle ne s’amusait guère à Turin ; cependant elle était pour lors très éprise de son mari qui la traitait comme un enfant et la faisait danser une fois par semaine aux frais de la ville de Turin ; car, en sa qualité de militaire, le diplomate était défrayé de tout, et ne se faisait faute de rien.

Il avait été envoyé plusieurs fois auprès de l’empereur Napoléon, dans les circonstances les plus critiques de la monarchie autrichienne, et racontait les détails de ces négociations d’une manière fort piquante. Je suis bien fâchée de ne pas me les rappeler d’une façon assez exacte pour oser les rapporter ici. Il parlait de l’Empereur avec une extrême admiration et disait que les rapports avec lui étaient faciles d’homme à homme, quoiqu’ils fussent durs d’empire à empire. À la vérité, Napoléon appréciait Bubna, le vantait et lui avait donné plusieurs témoignages d’estime. Une approbation si prisée était un grand moyen de séduction. Tant il y a que je suis restée bien souvent jusqu’à une heure du matin à entendre Bubna raconter son Bonaparte.

Mon ami Bubna avait la réputation d’être un peu pillard. La manière dont il exploitait la ville de Turin, en pleine paix, n’éloigne pas cette idée ; aussi désirait-il maintenir l’occupation militaire le plus longtemps possible. Mon père, au contraire, prêtait assistance aux autorités sardes qui cherchaient à s’en délivrer. Mais cette opposition dans les affaires, qu’il avait trop de bon sens pour ne pas admettre de situation, n’a jamais altéré nos relations sociales. Elles sont restées toujours intimes et amicales. Les troupes autrichiennes furent enfin reti-