Page:Mémoires de la comtesse de Boigne Tome II 1921.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.
248
MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

dans la remarque du ministre, car il était méthodiste jusqu’au puritanisme.

On ne saurait imaginer, lorsqu’on n’a pas été à même de l’apprécier, à quel point, dans l’esprit d’un anglais, l’homme privé sait se séparer de l’homme d’État. Tandis que l’un se refuse avec indignation à la moindre démarche qui blesse la délicatesse la plus susceptible, l’autre se jette sans hésiter dans l’acte le plus machiavélique et propre à troubler le sort des nations, s’il peut en résulter la chance d’un profit quelconque pour la vieille Angleterre.

De la même main dont lord Liverpool arrêtait la mienne dans ma trahison du petit chien, il aurait signé hardiment la reddition de Parga, au risque de la tragédie qui s’en est suivie.

L’autre propos me fut tenu par lord Sidmouth, assis à ma gauche le même jour ; il m’est souvent revenu à la mémoire et même m’a fait règle de conduite. Nous parlions de je ne sais quel jeune ménage auquel un petit accroissement de revenu serait nécessaire pour être à son aise.

« Cela se peut dire, répondit lord Sidmouth, cependant je leur conseillerais volontiers de se contenter de ce qu’ils ont ; car ils n’y gagneraient rien s’ils obtenaient davantage. Je n’ai jamais connu personne, dans aucune circonstance ni dans aucune position, qui n’eût besoin d’un peu plus pour en avoir assez (A little more to make enough). »

Cette morale pratique m’a paru très éminemment sage et bonne à se rappeler pour son compte. Toutes les fois que je me suis surprise à regretter la privation de quelque fantaisie, je me suis répété que tout le monde réclamait « a little more to make enough » et me suis tenue pour satisfaite.