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LES « BIGLIETTO REGIO »

tait quelque amélioration aux premières extravagances.

L’absence de la Reine, restée en Sardaigne, rendait le Roi plus accessible aux conseils de la raison. Cependant elle avait délégué son influence à un comte de Roburent, grand écuyer et espèce de favori dont l’importance marquait dans cette Cour. C’était le représentant de l’émigration et de l’ancien régime, avec toute l’exagération qu’on peut supposer à un homme très borné et profondément ignorant. Je me rappelle qu’un jour, chez mon père, on parla du baptême que les matelots font subir lorsqu’on passe la ligne ; mon père dit l’avoir reçu ; monsieur de Roburent reprit avec un sourire gracieux : « Votre Excellence a passé sous la ligne ; vous avez donc été ambassadeur à Constantinople ? »

Il y avait alors trois codes également en usage en Piémont ; l’ancien code civil, le code militaire qui trouvait moyen d’évoquer toutes les affaires, et le code Napoléon. Selon que l’un ou l’autre était favorable à la partie protégée par le pouvoir, un Biglietto regio enjoignait de s’en servir ; cela se renouvelait à chaque occasion. À la vérité, si cette précaution était insuffisante, un second Biglietto regio cassait le jugement et, sans renvoyer devant une autre cour, décidait le contraire de l’arrêt rendu. Mais il faut l’avouer, ceci n’arrivait guère que pour les gens tout à fait en faveur.

Il y eut une aventure qui fit assez de bruit pendant notre séjour. Deux nobles piémontais de province avaient eu un procès qui fut jugé à Casal. Le perdant arriva en poste à Turin, parvint chez monsieur de Roburent et lui représenta que ce jugement était inique, attendu qu’il était son cousin. Monsieur de Roburent comprit toute la force de cet argument et obtint facilement un Biglietto regio en faveur du cousin. Trois jours