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des forces de la nature. Un passage trop peu remarqué du livre de M. Darwin révèle avec une sorte de candeur cette pensée dominante, et cette invincible répugnance pour toute manière de voir qui réserverait la part de Dieu dans l’explication des choses. À nos yeux, et on peut le dire, aux yeux de tout le genre humain, la perfection des organismes actuellement existants atteste l’intervention d’un organisateur tout-puissant et tout sage. Pour M. Darwin elle prouve tout au contraire que ces êtres n’ont pas été si bien faits du premier coup, et qu’avant de réussir, la nature a dû s’y reprendre à plusieurs fois. « Chaque être vivant, surtout chez les animaux, est si admirablement adapté à ses conditions d’existence, qu’il semble dès le premier abord improbable que des instruments aussi parfaits aient été soudainement produits dans leur perfection ; de même qu’une machine compliquée ne saurait avoir été inventée par un seul homme avec tous ses perfectionnements successifs[1]. » Il est visible que l’idée d’un ordonnateur divin est ici écartée à priori ; le raisonnement par analogie que M. Darwin invoque serait d’une absurdité trop manifeste, si l’auteur ne supposait pas d’avance que la force organisatrice qui agit dans le monde n’est pas celle de

  1. Darwin, De l’origine des espèces, avant-propos, p. II.