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intelligible, ou, comme dit Kant, le monde des phénomènes et le monde des noumènes. Dans le premier, les données sensibles ne nous fournissent que des apparences, et ces apparences, nécessairement jetées dans le moule préexistant de notre pensée, en sortent plus éloignées encore de la réalité objective. Dans le second, il n’y a rien que ce que nous y mettons : c’est le domaine du subjectif pur.

Telle est, mon cher Socrate, la situation que prend notre auteur à l’égard de la raison. Je t’avoue qu’elle me paraît très-forte, et que je suis troublé quand je vois ce vigoureux esprit, plus capable cependant qu’aucun autre d’user hardiment de sa raison dans le domaine de l’absolu, reculer au contraire, et me montrer du doigt entre le subjectif et l’objectif, entre le moi avec ses formes innées et la réalité des choses, un abîme qu’il déclare infranchissable. Ses objections contre le temps et l’espace ne sont pas ce qui m’effraie ; car je crois qu’on peut prouver que ces deux idées ne sont que des produits hybrides où l’imagination intervient autant que la raison, et où nous ne verrons clair que quand nous saurons distinguer ce qui est contingent, créé, expérimental (à savoir l’étendue et la durée, attributs ou manières d’être des créatures), et ce qui est nécessaire et rationnel (à savoir l’immensité et l’éternité, attributs de Dieu). Je n’aurais pas beaucoup plus peur de ses antinomies, qui n’ont pas du tout pour effet de