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rendre impossible. C’est ce que notre Teuton fit avec une supériorité vraiment merveilleuse, et il est remarquable que les pages qu’il a consacrées à démontrer par l’analyse psychologique la présence et l’action d’une faculté intellectuelle supérieure à l’expérience sont parmi les plus claires et les mieux écrites de son livre. Les sensualistes prétendaient expliquer par je ne sais quelles transformations de la sensation les idées les plus évidemment supra-sensibles ; Kant, prenant ce que la connaissance humaine a de plus humble, je veux dire la perception extérieure, montre que, même à ce bas degré, l’expérience ne peut faire un pas sans la raison. L’idée d’étendue fournie par les sens implique l’idée d’espace, d’un espace infini et nécessaire, non point perçu par les sens, mais imposé par la force même de l’esprit aux perceptions sensibles comme une forme dont elles reçoivent l’empreinte. Pareillement, l’idée de succession et de changement, fournie d’abord par le sens intime et transportée de là dans le monde extérieur, implique l’idée nécessaire, et par conséquent non expérimentale, d’un temps éternel. Que si la raison, c’est-à-dire la faculté d’atteindre au delà de l’expérience, est déjà pour les opérations sensibles une condition d’exercice, on peut deviner d’avance que son rôle sera plus fortement marqué encore dans les opérations intellectuelles. C’est avec cet esprit que Kant examine nos jugements. Après avoir essayé de les classer au moyen