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Songe que tu seras jeune et robuste encore,
Que la vie à longs flots coulera dans ton sein,
Que tu t’éveilleras aux rayons de l’aurore,
Joyeux comme l’oiseau messager du matin,
Quand la tombe sur lui sera déjà fermée,
L’écrasant de son poids comme un autre mortel ;
Et ne dis pas, enfant, qu’au moins sa renommée,
Luira dans l’avenir comme un phare éternel ;
Ah ! sans doute, il aura d’illustres funérailles,
Et les peuples, pareils à des gladiateurs,
Pour honorer sa mort livreront des batailles
Où les vaincus seront plus grands que les vainqueurs ;
Tandis que le silence et l’oubli sur ta cendre
Règneront à jamais, et que l’oiseau des champs
Et le maigre grillon se feront seuls entendre
Autour de ton sépulcre, insensible à leurs chants ;
Mais élève tes yeux, mesure l’étendue
De ce ciel si profond, de ce monde sans fin,
Où la vue étonnée erre comme perdue ;
Et songe que la voix de tout le genre humain,
Acclamant ou pleurant le héros qu’il adore,
N’est pas plus, au milieu de cette immensité,
Que celle du pinson et du grillon sonore
Sur le tombeau d’un pâtre, en un beau jour d’été.

Reprends, jeune berger, ta douce insouciance,
Reprends tes chalumeaux et ta simple chanson ;
Laisse, laisse passer, dans ton indifférence,
Ce romain à l’œil d’aigle, au large et vaste front,