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RIENZI.

faire des appétits, des désirs plus vulgaires, au milieu de tout son faste, quand sa table gémissait accablée des primeurs de tous les climats, quand son vin circulait le plus abondamment, le tribun lui-même observait une sobre et même une sévère abstinence. Tandis que les appartements de cérémonie et les chambres de sa nouvelle épouse étaient décorés avec un luxe coûteux et prodigue, dans son appartement privé il transporta exactement le même ameublement qui lui avait été familier en des jours plus obscurs. Les livres, les bustes, les bas-reliefs, les armes qui lui avaient précédemment inspiré ses visions du passé lui devenaient plus chers par des souvenirs qu’il n’avait garde d’oublier.

Mais ce qui constituait le trait le plus singulier de son caractère, et ce qui enveloppe encore d’un certain mystère tout ce qui l’entoure, c’était son enthousiasme religieux. Les doctrines hardies, mais désordonnées d’Arnaud de Brescia qui, deux siècles auparavant, avait prêché sa réforme, n’étaient pas encore oubliées à Rome, et elles avaient dans sa première jeunesse, profondément coloré l’esprit de Rienzi ; son penchant juvénile à ces rêveuses méditations, la mort si triste de son frère, la mobilité de sa fortune subite, tout cela avait contribué à nourrir encore les aspirations ardentes et solennelles de cet homme remarquable. Ainsi qu’Arnaud de Brescia, sa foi avait une grande ressemblance avec le violent fanatisme des puritains dans les guerres civiles de l’Angleterre, comme si l’analogie des circonstances politiques conduisait à la similitude des sentiments religieux. Il se croyait inspiré par d’imposantes et puissantes communications avec des êtres d’un monde supérieur. Les saints et les anges lui fournissaient ses rêves ; et sans cet enthousiasme profond et sanctifié, jamais le patriotisme humain pur et simple ne l’aurait assez enhardi pour une entreprise sans exemple comme la sienne : ce fut le se-