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pente orientale de ce grand morne déchiqueté qui porte les communes de Plonguiel et de Plougrescant, et qui est une des pointes extrêmes que pousse la Bretagne au cœur de la Manche. De bonne heure, il fut aveugle et fit des vers. Dieu me garde de le comparer à Homère ! Il n’eut avec le multiple poète ionien que ces deux points de comparaison, et le second serait fort à son désavantage. Il a néanmoins fait imprimer de très jolies pièces, que le peuple accueillait avec plaisir. Il va sans dire qu’il ne les écrivait pas. En revanche, il les chantait bien, L’hiver, il s’enfermait dans sa chaumine de Kersuliet, près de la Roche-Jaune, au bord île la rivière de Tréguier. Là, assis au coin de son foyer, en compagnie de Marie Petibon, sa femme, tandis que s’harmonisaient au dehors les bruits de la marée et ceux du vent, il pratiquait son art et cousait des vers bretons l’un à l’autre. Le couplet terminé, il taillait dans un morceau de bois une coche, à la manière des boulangers. Chaque chanson avait tant de coches, c’est-à-dire tant de couplets. Le nombre n’était jamais le même. L’été venu, Yann ar Guenn et Marie Petibon émigraient côte à côte et se promenaient de bourg en bourg, au hasard des fêtes locales. Adossé au mur du cimetière, Iann prenait une de ses lattes, eu parcourait du doigt les tailles, y lisait avec les yeux de l’âme la sôn qu’il y avait sculpté, et la chantait devant la foule. Ses pérégrinations aboutissaient toujours a Morlaix, ville des éditeurs bretons. On le voyait entrer chez Lédan. Quand il en sortait, la presse avait fixé, à l’usage du peuple, ses passagères inspirations. Grâce à ce papier à chandelle, Iann Ar Guenn eut la vogue et presque la gloire. Celui que les actes de l’État civil qualifiaient, au moment de son mariage, de « chanteur de chansons », était honoré par eux, au lendemain de sa mort, du titre de « poète ». Il en était digne. Je n’en saurais affirmer autant d’autres « Iann » qui lui ont succédé, y compris Iann ar Mi-