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d’aucune langue. Et aussitôt apparut un énorme loup qui étrangla la vache sur la place.

Et la vieille, tout effrayée, de courir après les trois voyageurs, en criant : — Seigneurs ! seigneurs !... — Comme ils n’étaient pas encore loin, ils l’entendirent et s’arrêtèrent pour l’attendre.

— Que vous est-il donc arrivé, grand’mère ? lui demanda notre Sauveur.

— Hélas ! mes bons seigneurs, à peine étiez-vous sortis qu’un grand loup est arrivé dans ma maison, et il a étranglé ma belle vache mouchetée !

— C’est que vous avez appelé vous-même le loup, grand’mère. Retournez à la maison, et vous y retrouverez votre vache en vie et bien portante. Mais soyez plus sage, à l’avenir : contentez-vous de ce que Dieu vous envoie, et n’essayez pas, une autre fois, de faire ce que Dieu seul peut faire.

La vieille retourna chez elle et retrouva sa belle vache mouchetée en vie et bien portante ; et alors seulement, elle reconnut que c’était le bon Dieu lui-même qui avait été dans sa maison[1].

  1. Il se trouve quelque chose d’approchant dans le roman français le Renart, première branche, par Pierre de Saint-Cloud. L’auteur raconte que Dieu, après avoir chassé Adam et Ève du paradis terrestre, par un reste de pitié pour eux, et ne voulant pas les abandonner complètement, leur donna une baguette en disant qu’il suffirait d’en frapper la mer pour avoir aussitôt ce dont ils auraient besoin. Adam, pressé d’éprouver l’effet de la baguette merveilleuse, fit sortir du premier coup une belle brebis du sein des flots. Ève voulut l’essayer, à son tour. Mais aussitôt qu’elle en frappa la mer, il en sortit un loup qui se jeta sur la brebis et l’emporta au fond d’un bois. Ce que voyant Adam, il reprit la baguette des mains de sa femme et, d’un second coup, il fit paraître un grand chien qui courut après le loup et rapporta la brebis. — Puis, une foule d’animaux furent produits de la sorte, doux et apprivoisés, quand ils naissaient sous la baguette d’Adam ; indomptables, féroces ou pervers, quand ils naissaient sous la baguette d’Ève. Ce fut elle qui fit naître Renart, le type de la ruse, de la perfidie et de toutes les méchancetés.