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vous laisser ignorer, reprit le seigneur : vous ne devrez jamais vous fâcher, quoi que l’on vous dise ou fasse, autrement, vous serez renvoyé sans le sou, et de plus, l’on vous taillera courroie, c’est-à-dire qu’on vous enlèvera un ruban de peau rouge, depuis la nuque jusqu’aux talons[1].

— Cela n’est plus aussi bien... Mais, vous-même, Monseigneur, si vous vous fâchez le premier ?...

— Si je me fâche le premier, c’est à moi qu’on

  1. L'expression tailla correann ou sevel correann : tailler courroie ou lever courroie, est proverbiale, dans tout le pays de Lannion et de Tréguier. Elle est employée dans le sens de susciter des embarras, des difficultés, donner du fil à retordre, comme on dit en français. Ce doit être un souvenir de la très ancienne coutume d'après laquelle, lorsque deux hommes s'étaient engagés vis-à-vis l'un de l'autre, celui qui manquait à la parole donnée était condamné à avoir une bande de peau enlevée, depuis la nuque jusqu'à la plante du pied, et acceptait cette peine, sans essayer de s'y soustraire. La même coutume se retrouve dans les traditions populaires des Gaëls de l'Ecosse, comme on le voit dans le recueil de F.-J. Campbell. Popular tales of the West Higlands orally collected with a translation. Edinburgh, 4 vol. in-12, 1860-1862.
    Elle existait aussi chez les Romains, et on lit dans Plaute : De meo tergo degitur corium. Cela rappelle enfin l'histoire de la livre de chair, réclamée par le Juif Shylock, dans le Marchand de Venise, de Shakespeare. Cette histoire de la livre de chair se trouve également dans Li Romans de Dolopathos, du commencement du XIIIe siècle, quatrième conte, pages 244 et suivantes de l'édition Charles Brunet et A. de Montaiglon. Paris, P. Jannet, 1856.