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quoi qu’il t’arrive ; songe à la récompense qui t’attend et aie confiance en moi.

La Princesse disparut alors et Ewen revint à son moulin, tout rêveur et ne dit mot à personne de la manière dont il avait passé la nuit.

La nuit suivante, il se rendit encore au château et se coucha sur le lit, comme la veille, pour attendre. Les trois géants vinrent encore par la cheminée et se mirent à jouer aux cartes, bruyamment et en se disputant. Ils ne pensaient plus à Ewen, qu’ils croyaient avoir étouffé sous les matelas, quand le Diable-Boiteux arriva aussi par la cheminée, avec grand bruit, et dit :

— Comment ! vous êtes là tranquillement à jouer aux cartes et vous ne vous doutez pas que le meunier est encore à vous guetter, pour surprendre vos secrets, vous chasser de ce château et délivrer la Princesse du Soleil !

— Rassurez-vous, répondirent-ils, nous n’avons plus rien à craindre du meunier, car hier soir, avant de partir, nous l’avons étouffé sous les matelas du lit, où il s’était caché.

— Vous croyez ? Dites-moi donc qui est celui-là qui se trouve encore dans le lit ?

— Comment ! il y a encore quelqu’un dans le lit ?

Et ils coururent au lit et s’écrièrent, étonnés :

— C’est encore lui ! Comment donc cela peut-il être ? Mais nous allons en finir avec lui, cette fois.

Et ils l’arrachèrent du lit et se le renvoyèrent, comme une balle, d’un bout à l’autre de la cuisine, le lançant parfois au plafond ou contre les dalles du pavé. Le pauvre Ewen ne soufflait mot, quelle que fût sa souffrance.

Le coq chanta, pendant qu’ils étaient occupés à cet exercice ; mais, avant de partir, le Diable-Boiteux le lança si violemment contre le mur qu’il y resta collé comme une pomme cuite.

Aussitôt après le départ des diables, la Princesse arriva. Un faible reste de vie se trouvait encore dans le corps du meunier. Elle le frotta avec un onguent de sa composition, versa sur lui quelques gouttes de son eau merveilleuse, et il se releva encore, plein de vie et de santé.

— L’épreuve a été rude, mon pauvre ami ! lui dit la Princesse, mais enfin te voilà encore en vie. Tu n’as plus qu’une nuit à passer au château pour être au bout de tes peines et recevoir la récompense que je t’ai promise. Du courage donc, aie confiance en moi et tout ira bien.

— Les princesses enchantées, répondit Ewen, ne sont pas faciles à délivrer, d’après ce que je vois ; mais il n’importe, je ne faillirai point et j’irai jusqu’au bout, quoi qu’il arrive.

La Princesse disparut alors, et Ewen revint à son moulin.

La troisième nuit, les démons le maltraitèrent avec plus d’acharnement que les nuits précédentes, le lançant violemment contre les murs et le pavé de la cuisine, le déchirant avec leurs griffes et piétinant avec rage son corps. Puis, comme il respirait encore, ils le mirent à la broche, l’exposèrent à un grand feu, et, quand ils partirent, au chant du coq, ils pensaient bien en avoir pour le coup

fini avec lui.

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