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cussions d’art. Sa simplicité native n’en fut ni corrompue, ni même altérée.

Les vacances le ramenaient à Keramborgne. Il s’y retrouvait avec un vif sentiment d’aise, parmi les humbles dont l’âme, riche de poésie, de traditions, de légendes, commençait à le passionner. Il nous a légué les noms de quelques-uns d’entre eux : Jean Kerglogor, le montreur d’images ; Garandel, surnommé Compagnon l’Aveugle, sorte d’Homère bas-breton ; Prigent, un pauvre d’esprit et un thésauriseur de rêves ; Marguerite Philippe surtout, qu’il ne connut que plus tard et qui fut une de ses collaboratrices les plus fécondes. Les récits de ces braves gens l’enchantaient. Il se mit de bonne heure à les transcrire sous leur dictée.

Cependant il fallait vivre. Sa carrière fut d’un pur Celte, tiraillé dans les sens les plus divers. On le vit tour à tour professeur de collège, employé de préfecture, journaliste, juge de paix. En dernier lieu, il était archiviste du Finistère. Mais si multiples qu’en aient été les aspects, aucune existence ne fut, en réalité, plus une. M. Luzel, à vrai dire, n’a été que l’homme d’une seule tâche. Toute son activité a été consacrée à ressusciter le passé poétique ou légendaire de la Bretagne, à fixer une image fidèle, désormais impérissable.

Il exhuma des antiques bahuts des fermes les manuscrits de mystères qui achevaient d’y moisir. Il publia coup sur coup les Gwerziou et les Soniou Breiz-Izel qui constituent une des plus belles collections de chants populaires qui aient jamais été éditées. Il donna enfin cinq volumes de contes (deux de Légendes chrétiennes et trois de Contes mythologiques) dont la réputation s’étendit promptement à toute l’Europe. Il préparait, quand la mort l’a Surpris, en mars 1895, un sixième recueil, digne de prendre rang auprès de ses ainés. C’est à cet ouvrage encore inédit que nous avons emprunté les « histoires » merveilleuses ou funèbres qu’on va lire.

Ce sont de scrupuleuses traductions, sans fausse parure, sans ornement apprêté. M. Luzel était, en ces matières, d’une absolue probité scientifique. « Tous mes contes, écrit-il, ont d’abord été recueillis dans la langue où ils m’ont été contés, c’est-à-dire en breton. J’ai conservé mes cahiers qui font foi de la fidélité que je me suis efforcé d’apporter dans la reproduction de ce que j’entendais, sans rien retrancher, et surtout sans rien ajouter aux versions de mes conteurs. » La Bretagne peut se mirer dans son œuvre ; il l’y a fixée telle qu’elle s’est révélée à lui. L’âme bretonne, comme on dit, n’a jamais eu d’historien à la fois plus enthousiaste et plus consciencieux.




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