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— Je ne puis pas vous rendre votre fil ; je n’ai pas non plus d’argent à vous donner ; mais, comme je suis un honnête homme, je veux vous dédommager amplement du tort que je vous ai fait. J’ai là une oie blanche qui… fait en or ce que les autres font autrement ; je veux bien vous la céder, et, pendant que vous la posséderez, vous ne manquerez pas d’or, ni d’autre chose, par conséquent.

On lui fit voir l’oie, on lui montra l’or qu’elle produisait, et il l’accepta, avec joie et se calma. Comme la nuit était venue, le vieillard lui proposa l’hospitalité jusqu’au lendemain matin, ce qu’il accepta, et les voilà bons amis. Il se coucha sur un tas de bruyères et de fougères sèches, au bas de la hutte, et attacha l’oie, par une ficelle, à son pied, pour qu’on ne la lui dérobât pas, car il avait remarqué que la vieille grognait et n’était pas contente.

Comme il était fatigué, il dormait profondément, malgré le vacarme que firent, toute la nuit, les fils des deux vieux, en arrivant et en repartant, et pendant son sommeil, la vieille substitua une autre oie blanche à la sienne, sans qu’il s’en aperçût.

Au point du jour, il s’éveilla et partit, en emportant une oie ordinaire, au lieu du trésor qu’il croyait posséder. Le soir, il s’arrêta dans un gros bourg, entra à la meilleure auberge et se fit servir un bon repas, comptant sur son oie pour payer son écot. Le lendemain matin, il fit encore un bon déjeuner ; puis, le moment de payer venu, il pria son oie de faire son devoir. Mais, hélas ! l’oie, au lieu de pièces d’or, ne rendit que ce que rendent d’ordinaire les oies, il vit clairement qu’on l’avait joué. Il lui fallut laisser son oie pour payer son écot. Mais il courut, furieux, à la maison du vent du nord, entra comme un ouragan, en tempêtant et en criant :

— Ah ! vieux brigand, tu m’as trompé ! Mais tu vas me le payer !

Et il s’avança vers le vieillard, le bâton levé, en criant :

— Tu m’as trompé, méchant vieillard ! Je vais t’en punir !

— Calmez-vous, mon enfant, répondit tranquillement le vieillard ; si vous avez été trompé, ce n’est pas par moi. Si ce n’est toi, c’est donc ta coquine de femme qui m’aura dérobé l’oie pendant mon sommeil.

— Calmez-vous vous dis-je, et je vous dédommagerai de manière à ce que vous ne regrettiez pas l’oie perdue.

— Que me donnerez-vous à la place ?

— J’ai bien là un bâton qui a cela de particulier que, lorsque la personne qui le tient à la main lui dit : « Bâton, fais ton devoir ! » le bâton se jette sur la personne ou l’animal qu’on lui désigne, et ne cesse de frapper que quand on lui dit : « Bâton, dans ma main ! » et alors il revient de lui-même dans la main de son maître. Veux tu que je te donne ce bâton ?

— Oui, avec lui je saurai me faire rendre l’oie que l’on m’a volée, et me faire craindre et obéir, partout où j’irai. Le vieillard lui donna le bâton, et l’invita à passer encore la nuit sous son toit.

En se couchant, Louarn plaça le bâton sous sa tête et ne dormit pas, cette fois, car le repas avait été frugal, et, de plus, il se défiait un peu de ses hôtes.