Page:Luzel - Contes et légendes des Bretons armoricains, 1896.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 358 —


— C’est entendu ; viens avec moi au château, et je vais te compter cent écus.

Milliau accompagna le seigneur au château, reçut les cent écus, plus un bon repas, tant il était content, puis il se remit en route pour retourner au pays, heureux comme un roi.

Voyons maintenant ce que devient le cadet Louarn, avec sa pelote de fil d’étoupe.

À peine eut-il quitté ses deux frères qu’il laissa sa pelote tomber dans une mare. Il l’en retira toute salie et souillée, ce dont il fut désolé, car il ne pouvait songer à la vendre, dans cet état. Il la lava à une fontaine d’eau claire, au bord de la route ; puis, pour la sécher, il la dévida et étendit le fil sur le pré voisin. Mais il ventait fort, du nord ; un tourbillon passa, qui enleva le fil et le dispersa au sommet des arbres et ailleurs.

— Voilà que le vent du nord me vole mon héritage !… Et il se mit à pleurer et à jurer après le vent du nord.

— Que vais-je faire à présent ? Je ne veux pas m’en retourner comme cela au pays ; je vais me mettre à la poursuite du voleur et je ne m’arrêterai pas que je ne l’aie trouvé et forcé à me rendre mon fil, ou à me le payer cent écus.

Et le voilà en route vers le nord. Il demandait à tous ceux qu’il rencontrait :

— Savez-vous où demeure le vent du nord, ce voleur qui n’a enlevé mon fil, toute ma fortune ?

Les uns haussaient les épaules et passaient ; d’autres songeaient : le pauvre fou !

Et on lui disait :

— Allez toujours vers le nord, et vous finirez par le trouver.

À force de marcher, il arriva sur une grande lande nue et désolée, au milieu de laquelle il aperçut une pauvre habitation faite de mottes de terre et de branchages d’arbres et ouverte à tous les vents. Il se dirigea vers elle trouva la porte ouverte, entra et aperçut au fond deux pauvres vieillards, qui paraissaient vieux comme la terre, et qui se chauffaient en grelottant à un pauvre feu.

— Est-ce ici la maison du vent du nord, demanda-t-il brusquement.

— Oui, répondit le vieillard, que me voulez-vous ?

— Ah ! je vous trouve donc enfin, méchant voleur ! À nous deux à présent ; vous allez me rendre mon fil ou me le payer, sinon ce bâton va vous caresser les épaules.

Et il lui montrait son bâton terminé en boule, son penn-bâz.

— De quel fil voulez-vous donc parler ? demanda le vieillard.

— De la pelote de fil d’étoupe que mon père m’a laissée pour tout héritage, que j’avais étendue à sécher sur un pré, et que vous m’avez enlevée, en passant, et dispersée au sommet des arbres.

— Ce n’est que cela ? Vous faites vraiment beaucoup de bruit pour peu de chose : une pelote de fil d’étoupe !

— Mais c’est toute ma fortune, ce fil, et vous allez me le rendre ou le payer cent écus, sinon je vais jouer du bâton sur votre

dos.

[ 34 ]