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cant régulièrement l’arrivée du jour, ět, les huit jours expirés, Goulven reçut les cent écus promis et partit, heureux de posséder plus d’argent qu’il n’en avait jamais vu, et se croyant riche et à l’abri du besoin pour toujours.

Il y avait huit mois qu’il était parti de la maison, il lui en fallait bien quatre pour y retourner et arriver au terme convenu, et il se remit gaîment en route.

Mais, pendant qu’il chemine, voyons ce que sont devenus ses deux frères.

D’abord Milliau avec sa faucille.

Il essaya de vendre sa faucille dans les fermes de sa paroisse, puis dans les paroisses environnantes, mais sans le moindre succès Il en demandait invariablement cent écus, et on lui en offrait vingt sous, vingt-cinq sous, et au plus trente sous. On croyait que c’était par plaisanterie qu’il demandait cent écus, et on en riait ; mais comme il persistait, on le traitait d’imbécile, d’idiot, et on le huait et bafouait. Il ne se décourageait pourtant pas, et allait plus loin, toujours plus loin. Après avoir marché longtemps, poussant toujours devant lui, au hasard, il arriva dans un pays où il vit une vingtaine d’hommes et de femmes occupés, dans une vaste plaine, à couper du blé mûr avec des couteaux de bois ou d’os. Cela l’étonna fort, et il s’approcha d’eux et dit :

— Comment, mes pauvres gens, pouvez-vous vous donner tant de mal inutilement ? Il vous faudra plus d’un mois, à ce train-là, pour couper tout ce blé, au lieu que moi, tout seul, je pourrais le faire en deux jours avec l’instrument que voici.

Et il leur montrait sa faucille.

— Vous vous moquez de nous, lui répondit-on ; laissez-nous travailler et passez votre chemin.

— Je ne me moque pas de vous, et je vais vous le prouver…

Et Milliau, avec sa bonne faucille, se mit à abattre du blé, comme quatre, au grand ébahissement des moissonneurs et moissonneuses.

— Eh bien ! qu’en dites-vous ? leur demanda-t-il, après avoir couché tout un sillon par terre, en quelques minutes.

— C’est merveilleux, et un instrument pareil nous épargnerait bien du mal. Est-ce que vous consentiriez à la vendre ?

— Volontiers, si l’on m’en donnait un prix convenable.

— Il faut prévenir le maître, et le prier de venir voir.

Et un des moissonneurs courut au château ; et revint sans farder, accompagné du seigneur :

Milliau, en un moment, coucha à terre un second sillon ; sous ses yeux, et il en fut tellement émerveillé qu’il voulut lui acheter immédiatement la faucille :

— Comment appelles-tu ce merveilleux instrument ? lui demanda-t-il.

— Faucille

— Eh bien veux-tu me vendre ta faucille ?

— Volontiers, si vous m’en offrez un prix convenable.

— Combien en veux-tu ?

— Cent écus.