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corbeau noir, qui se livreront un combat acharné autour du cercueil. Le corbeau essayera de le faire tomber hors du cimetière, en le battant de ses ailes, et la colombe blanche, de son côté, fera tous ses efforts pour l’envoyer dans le cimetière. Si le corbeau l’emporte, je serai perdu sans rémission ; mais si la victoire reste à la colombe blanche, je serai sauvé, et mon âme s’envolera aussitôt au Paradis où vous viendrez me rejoindre.

À minuit donc, il alla placer le cercueil de son fils en équilibre sur le mur du cimetière de la paroisse. Puis il se retira sous le porche. Un moment après il vit arriver, de deux points opposés de l’horizon, de l’orient et de l’occident, une colombe blanche et un corbeau noir. Le corbeau, le premier, passa au ras du cercueil, et d’un vigoureux coup d’aile il le fit pencher sensiblement en dehors. La colombe blanche passa à son tour et le rétablit dans sa position première. D’un second coup d’aile le corbeau le fit pencher de nouveau en dehors et plus fortement : la colombe blanche le rétablit encore en équilibre, et avec avantage cette fois. Enfin, le combat dura environ une demi-heure, avec des chances diverses, et Mao, du fond du porche, en suivait les péripéties et les alternatives avec une anxiété mortelle… La colombe blanche finit par l’emporter ; le cercueil tomba dans le cimetière et en tombant il s’ouvrit, et il en sortit une autre colombe blanche qui se joignit à celle qui avait si courageusement combattu contre le corbeau noir. Mao Kergarec en mourut de joie, sur la place, et, au lieu de deux colombes blanches, on en vit trois s’élever ensemble vers le ciel.

C’étaient les âmes purifiées du père, du fils et de sa mère. Dieu avait permis à cette dernière de venir assister son fils, sous cette forme.

Conté par Marguerite Philippe, à Plouaret, le 12 septembre 1887.



L’HÉRITAGE DES ENFANTS DE HERVÉ KERAVEL


Autrefois, dans les temps anciens, vivait, au village de Kernaoun, un pauvre homme, nommé Hervé Keravel, qui vivait de la charité publique. Sa femme, Jeannette Ar Balc’h, était morte, et il était resté veuf avec trois jeunes garçons, Goulven, Mélar et Louarn.

Quand le bonhomme mourut, à son tour, il laissa à ses fils pour unique héritage un coq, une faucille et une pelote de fil d’étoupe, qu’ils partagèrent entre eux.

Goulven, en sa qualité d’aîné, eut le choix, et prit le coq ; Mélar le puîné, eut la faucille, et Louarn, le cadet, dut se contenter de la pelote de fil d’étoupe.

Ils résolurent de voyager, pour chercher fortune, en emportant chacun sa part de l’héritage paternel.

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