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le petit coffre en bois de chêne que tu as dans ta chambre, auprès de ton lit, et au bout de ce temps tu me suivras où je voudrai te conduire.

— Oui, mais il faudra que jamais rien ne manque aux mille écus de chaque matin, ou, le jour où le compte n’y sera pas, je garderais tout ce que j’aurais reçu jusque-là et le marché serait rompu.

— C’est entendu ; et maintenant tu vas me signer avec ton sang le contrat que voici et que j’ai préparé d’avance.

Et il lui montra un parchemin avec un contrat en règle.

— Je ne sais pas écrire, répondit Mao, mais je ferai bien un croix tout de même.

— Non pas de Croix ! mais tu vas me faire un rond là, et cela suffira.

Et l’inconnu descendit de cheval, piqua le bras de Mao avec la pointe d’un canif, trempa le bec d’une plume dans la goutte de sang qui en sortit, et dit en présentant le parchemin au paysan :

— Là, fais là un rond, au bas du parchemin.

Mao fit le rond, et l’autre plia alors le parchemin, le mit dans sa poche, remonta sur son cheval et dit :

— Dans trente ans, jour pour jour, tu te retrouveras ici ; et prends garde d’y manquer, car je saurai bien te découvrir en quelque lieu que tu te caches. Et il partit là-dessus.

Mao continua de son côté vers sa maison, impatient de visiter son coffre et en se disant :

— Mille écus par jour pendant trente ans ! Personne ne sera aussi riche que moi dans le pays, et je pourrai à mon tour me moquer de mon seigneur ; et quant à l’autre, le vieux Guilloux, — car c’est bien lui, — en trente ans, en y songeant, je trouverai bien quelque bon tour pour me débarrasser de lui.

Tout en se faisant ce raisonnement, il marchait d’un pas léger, et se trouva bientôt en présence d’un second cavalier, monté sur un cheval blanc et qui ressemblait beaucoup au personnage du Sauveur figuré sur la porte de droite du château.

Le cavalier s’arrêta et, avec bonté, lui parla de la sorte :

— Bonjour, mon brave homme.

— Bonjour, monseigneur, répondit Mao.

— Je connais votre embarras et je vous propose de vous venir en aide. Vous devez payer une forte somme à votre seigneur dans quinze jours, vous n’avez pas d’argent et votre famille est nombreuse.

— Vous vous trompez ; je n’ai besoin du secours de personne, et j’ai de l’argent à la maison bien plus qu’il ne m’en faut pour payer mon seigneur. Merci pourtant de votre offre.

Et là-dessus, il continua sa route en sens inverse du cavalier au cheval blanc.

En arrivant à la maison, il monta aussitôt à sa chambre et dit

sa femme de le suivre.

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