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Le seigneur le reçut assez mal, parla haut, lui fit voir ses titres et dit que, si, dans huit jours, il n’avait pas payé tout l’arriéré qu’il lui devait, il ferait vendre tout son mobilier.

Mao s’en retourna soucieux et désolé, car il n’avait pas d’argent et ne savait comment s’en procurer. Il était, en outre, chargé d’une nombreuse famille.

Au sortir de la cour, il salua encore le vilain personnage peint sur la porte de gauche, et pas celui de la porte de droite. Il rencontra bientôt un seigneur inconnu monté sur un beau cheval noir.

— Bonjour, brave homme, lui dit l’inconnu.

— Bonjour, monseigneur, répondit le paysan.

— Je sais d’où tu viens, et ce qui te met tant en peine. Tu as été chez ton seigneur, le maître du château voisin, qui t’a mis en demeure de lui payer une forte somme, dans huit jours, sinon il vendra ton mobilier pour se payer ; or, tu n’as pas d’argent et ne sais comment t’en procurer.

— Tout cela est vrai, hélas !

— Eh bien ! je veux te venir en aide et reconnaître ainsi ta politesse envers moi.

— Vous êtes bien bon ; mais qui donc êtes-vous ?

— Celui dont tu as vu le portrait sur la porte de gauche du château, et que tu as salué avant l’autre sur la porte de droite.

— Ah ! oui… Mais… j’ai peur que vous ne me demandiez autre chose que des saluts, car, d’après ce que l’on raconte, vous n’avez pas l’habitude de vous contenter de si peu.

― Non, donnant donnant, rien de plus juste ; mais vois quelle est ta situation, et songe à ta famille.

― Eh bien ! quelles sont vos conditions ?

— Qu’un de tes enfants m’appartienne, que tu me le donnes, ― rien de plus.

— Non ! jamais je ne consentirai à cela.

— Songe donc que tu as sept enfants, et que te voilà réduit à la misère par les exigences de ton seigneur.

— N’importe ! je ne vous céderai aucun de mes enfants ; arrive que pourra.

— C’est à prendre ou à laisser, comme tu voudras ; mais décide-toi vite, car l’on m’attend ailleurs, et je suis pressé !

Mao se gratta la tête, réfléchit un moment, songea aux contes qu’il avait entendu conter aux veillées d’hiver et où le diable est toujours dupé dans ses marchés avec les hommes, espéra qu’il trouverait bien aussi quelque finesse pour se tirer d’affaire et dit enfin :

— Eh bien ! si vous voulez vous contenter de moi, au lieu de mes enfants, aux conditions que je vous dirai ?…

— Voyons tes conditions, car, après tout, toi ou un de tes enfants, il m’importe assez peu.

— Eh bien ! pendant trente ans, à partir d’aujourd’hui, je désire trouver tous les matins, en me levant, mille écus en or dans un petit coffret en bois de chêne que j’ai dans ma chambre, auprès de mon lit.

— Accepté : tous les matins en te levant, pendant trente ans,

tu trouveras mille écus en belles pièces d’or toutes neuves dans

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