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Arzur se sentit fortement indisposé, et il se mit au lit. Il avait la fièvre, et, à mesure que la nuit avançait, elle redoublait d’intensité. Le prince le veillait et lui prodiguait ses soins. Un peu après minuit, Arzur, tourmenté par une grande soif, pria son ami de lui aller cueillir une orange dans le jardin du château, le Prince s’empressa d’accomplir son désir et revint bientôt avec une orange. Il s’assit sur le bord du lit pour la peler, en s’aidant de la pointe son épée, n’ayant pas de couteau sous la main. Or, c’était l’épée avec laquelle il avait tué le géant, et qui était empoisonnée. Aussi, dès qu’Arzur eut mangé l’orange, il se mit à vomir, à se ftrdre de douleur, et il mourut bientôt dans les plus cruelles souffrances.

— Ah ! s’écria-t-il en mourant, la prédiction du moine s’accomplit ! car yous devez être le Prince Mauvais, et c’est moi-même qui vous ai introduit près de moi, pour mon malheur ! Ce qui prouve que le sort de chacun de nous est fixé, dès l’heure de sa naissance, et que, quoi qu’il fasse, nul ne peut l’éviter.

Conté par Marguerite Philippe, à Kercabin, le 18 septembre 1888.



MAO KERGAREC
OU LE PACTE AVEC LE DIABLE

Ecoutez tous, si vous voulez,
Et vous entendrez un joli conte.
Dans lequel il n’y a pas de mensonge
Si ce n’est, peut-être, un mot ou deux.

Il y avait une fois un seigneur si riche, si riche, qu’il ne savait pas où se trouvaient tous ses biens. Mais il menait une vie déréglée, si bien qu’il en arriva à avoir autant de dettes que d’avoir, et à être obligé de songer à mettre de l’ordre dans ses affaires.

Un jour, en examinant ses titres de propriété, il remarqua qu’un nommé Mao Kergarec occupait une terre qui lui appartenait et en jouissait comme si c’eût été son bien propre, ne lui payant jamais rien. Il fit appeler le paysan pour lui rendre des comptes.

En arrivant sous les murs du château, Mao remarqua que le diable était peint sur l’une des portes de la cour, celle de gauche, et Jésus-Christ sur l’autre, celle de droite. Il tira son chapeau au diable et lui fit la révérence, en disant :

— Saluons d’abord celui-ci qui, n’étant pas habitué à tant d’égards, m’en saura sans doute gré et m’en témoignera sa reconnaissance si je me trouve dans l’embarras, comme je le crains.

Puis il salua aussi l’image du Sauveur Jésus, mais moins bas, et il entra ensuite dans le château.

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