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— C’est bien le moment, se dit-il, d’avoir recours aux noisettes de ma mère. Voyons si elles ont la vertu qu’elle m’a dit.

Et il en cassa une, en souhaitant qu’elle lui procurât une barque pour franchir la mer. Et la barque demandée arriva aussitôt. Mais elle manquait d’agrès et de matelots. Il cassa une seconde noisette, en demandant que la barque fût munie d’agrès, de matelots et de tout ce qu’il fallait pour une longue navigation. Ce qui fut fait à l’instant Alors, quand il se fut assuré qu’il ne manquait plus rien, il fit dresser les voiles, et partit. La mer était belle et la navigation fut d’abord heureuse. Mais ensuite une tempête effroyable survint, et la barque alla se briser contre un rocher, en vue d’un château bâti sur une haute falaise. Le prince fut d’abord submergé, puis il revint sur l’eau et cassa sa troisième noisette, en souhaitant d’être vu et secouru du château. Ce château était celui des parents d’Arzur. Arzur lui-même, du haut de sa tour, avait assisté au naufrage, et, voyant un homme qui luttait péniblement contre le vagues furieuses, il éluda la surveillance de ses gardiens, descendit au rivage, se jeta à l’eau et sauva le naufragé. Il l’emmena au château, lui donna des vêtements et le soigna comme un frère. Le prince se sentait retenu là par un lien secret. Cependant, au bout de quelques jours, il parla de se remettre en route. Mais Arzur, qui, de son côté, se sentait attiré vers lui et l’aimait déjà, le pria instamment de rester, et il céda facilement. Ils furent bientôt grands amis et se firent leurs confidences. Le Prince raconta son aventure dans l’île, où il avait tué un géant et refusé d’épouser une belle princesse que le monstre retenait captive. Pourquoi donc n’avez-vous pas amené avec vous cette belle princesse ? lui demanda Arzur.

— Ce n’est pas une femme que je cherche, répondit-il, mais un ami, presque un frère, que j’ai je ne sais où, mais vers lequel je me sens attiré par je ne sais quelle puissance secrète, et je n’aurai le repos et ne cesserai de courir le monde que lorsque je l’aurai trouvé.

— Moi, dit Arzur, je suis relégué dans cette tour, que je n’ose quitter, parce que, le jour de ma naissance, deux moines mendiants qui avaient reçu l’hospitalité, pour une nuit, dans le château, prétendirent que j’étais né sous une mauvaise étoile, et que si j’atteignais ma vingt et unième année, je serais tué, le jour même, par un inconnu, venu d’un pays lointain, et qui se nomme le Prince Mauvais. Or, dans quelques jours, j’atteindrai ma vingt et unième année. Restez donc ici, avec moi, jusqu’à ce que le terme fatal soit révolu, et, s’il ne m’arrive malheur, je vous accompagnerai dans vos voyages, et nous vivrons toujours en bons amis, jusqu’à la mort.

Le Prince fut frappé de cette révélation ; mais il ne le laissa pas paraître et ne se fit pas connaître, bien résolu à faire mentir la prédiction du moine, et enchanté de pouvoir avoir bientôt pour compagnon de voyage celui qui lui avait sauvé la vie et pour lequel il n’éprouvait d’autre sentiment que de la reconnaissance et une vive affection.

La veille du jour où devait s’achever sa vingt et unième année,

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