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— Bonjour, mon fils, lui dit la vieille, et Dieu te bénisse, car tu vas me rendre un grand service.

— Très volontiers, grand’mère, si je le puis : dites-moi en quoi je puis vous être utile.

— Voici cinq cents ans que j’attends celui qui nous délivrera d’un méchant géant, qui désole et ruine tout le pays. Pour cela, il faut le tuer, ce qui n’est pas facile ; mais, avec du courage et mon aide, tu pourras cependant en venir à bout, si tu veux tenter l’aventure.

— Je le veux bien, grand’mère, car je cherche précisément des aventures dignes de mon courage.

— C’est bien, mon fils, et tu es l’homme que j’attendais. Voici une épée enchantée, dont les moindres blessures sont mortelles, et, avec elle, tu viendras à bout du monstre, puisque tu oses l’affronter.

Le Prince prit l’épée et demanda :

— Où est le géant ? que je marche tout droit contre lui. Tu vois ce château, là haut, sur ces rochers ? C’est là qu’est le monstre.

C’est bien ! répondit le Prince.

Et il marcha tranquillement vers le château. Arrivé à la porte, il la heurte fortement du pommeau de son épée, et le géant lui-même vint ouvrir.

— Ah ! te voilà, Prince Mauvais ! s’écria-t-il ; il Ꭹ a longtemps que je t’attends, et tu vas me fournir un excellent dîner, ce soir !

— Doucement, vilaine bête ! répondit le Prince Mauvais, sans s’émouvoir il faudra combattre avant de savoir si ma chair est tendre ou non, et je suis homme à défendre ma peau, comme tu vas le voir. Et le combat commença aussitôt, dans la cour du château. Un seul coup bien porté du géant eût fendu le Prince de la tête aux pieds ; mais, grâce à son agilité, il évitait les bottes les plus terribles et touchait souvent le monstre. Celui-ci poussait des cris et des beuglements qui faisaient trembler tous les animaux, à plus d’une lieue à la ronde. Le Prince commençait à faiblir, lorsqu’il réussit à frapper le géant à l’œil gauche. Aussitôt il tomba à terre, comme une tour qui s’écroule, et le vainqueur lui coupa la tête et la jeta en pâture aux dogues qui gardaient le château.

Alors la vieille entra dans la cour et se jeta au cou du prince en disant :

— Vous nous avez délivrées, ma fille et moi, et tout ce qui est ici vous appartient, à présent, si vous voulez rester avec nous. Entrez dans le château, venez, que je vous présente à ma fille.

Le prince admira la beauté et les grâces de la jeune fille, mais ne se laissa pas séduire.

— Le but de mon voyage, dit-il, n’est pas de chercher une femme, mais bien un ami, un frère que j’ai quelque part au monde, je ne sais où, mais je ne m’arrêterai que quand je l’aurai trouvé. Alors seulement je pourrai songer à me marier, et je ne vous oublierai pas.

Et il salua poliment la jeune fille et la vieille et partit, à leur grand regret. Il se rendit au bord de la mer, à l’endroit où il avait laissé sa barque. Mais elle n’y était plus, et le voilà dans un

grand embarras.

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