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LES DEUX CAPUCINS OU LA DESTINÉE

Deux capucins se présentèrent un soir à la porte d’un château et demandèrent l’hospitalité pour la nuit. Ils furent bien accueillis.

Au milieu de la nuit, étant au lit, ils furent éveillés par des gémissements et des cris de douleur. Et ils apprirent que le châtelain venait d’avoir un fils.

Le plus âgé des deux capucins ouvrit une fenêtre, examina les étoiles, qui brillaient au ciel, et dit, en frappant du pied la terre :

— Malheureux enfant ! Il est né sous une mauvaise étoile. Il lui arrivera malheur.

— Pourquoi cela ? lui demanda-t-on.

— C’est, répondit-il, qu’un autre enfant, un prince, vient de naître au même moment que lui, loin d’ici, et, lorsque le fils de notre hôtesse aura atteint l’âge de vingt et un ans, il sera tué par ce prince, qui a nom le Prince Mauvais.

On fit part de cette prédiction au père, qui en fut alarmé et demanda au capucin :

— N’y a-t-il aucun moyen de conjurer ce sort ?

— C’est difficile ; cependant je vous conseille de tenir l’enfant caché à tous les yeux, dans une forte tour, et de ne l’en laisser jamais sortir, même dans vos jardins, que bien escorté, jusqu’au jour où il atteindra sa vingt et unième année.

L’enfant fut baptisé et nommé Arzur, et on l’enferma aussitôt, avec sa nourrice, dans la plus forte tour du château, où, seuls, sa mère et son père le visitaient ; et, nuit et jour, des soldats armés montaient la garde, au pied de la tour.

Mais, pendant qu’il avance en âge et grandit, dans sa tour, occupons-nous un peu de l’autre enfant, né juste à la même heure que lui et qu’on appelait le Prince Mauvais.


Quand le Prince Mauvais approchait de sa vingt et unième année, il voulut voyager, pour voir du pays et chercher des aventures. Au moment du départ, sa mère, qui était un peu magicienne ou sorcière, lui donna trois noisettes, et lui dit :

— Voici trois noisettes que je te donne, mon fils, et qui te seront utiles dans tes voyages. Toutes les fois que tu te trouveras dans un grand danger, — mais alors seulement, — tu en casseras une, et aussitôt tu seras secouru.

Voilà donc le Prince Mauvais en route, avec ses trois noisettes dans sa poche, et la bourse bien garnie. Il va, il va plus loin, toujours plus loin, et par terre et par mer, et, comme il paie bien partout où il passe, il ne rencontre pas de difficultés sérieuses et n’a pas eu besoin encore de casser aucune de ses noisettes.

Un jour, après une longue navigation, il aborde à une île, où il rencontre, sur le rivage, une femme courbée sur un bâton et vieille comme la terre.

— Bonjour, grand’mère, lui dit-il, en l’abordant.

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