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— Vous auriez dû faire comme moi, dit-il ; à présent, je ne lui rendrai son linceul que quand elle aura dit ce qu’il lui faut.

Un personnage ressemblant à un prêtre, si ce n’est qu’il est tout habillé en blanc, vient alors de la sacristie, tenant un cierge dans chaque main. Il en pose un de chaque côté des tréteaux funèbres, et retourne à la sacristie. À trois heures, le carrosse arrive encore dans l’église, pour prendre la morte. Celle-ci sort de la terre, et se met à rire, en voyant les deux cierges, un de chaque côté du catafalque. Elle cherche son linceul et, ne le trouvant pas, elle crie :

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul !

Les trois prêtres, en entendant cette voix, sont saisis d’épouvante et voudraient être loin de là.

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul ! crie encore la femme d’une voix plus forte, et, en faisant le tour du catafalque, comme un chien enragé.

— Où est mon linceul ? Il me faut mon linceul ! crie-t-elle pour la troisième fois.

Le curé, craignant qu’elle ne vint à l’apercevoir et à le mettre en pièces, tant elle était courroucée, s’avance alors jusqu’au milieu de l’église, et lui jette son linceul ; mais il n’ose prononcer une seule parole. La femme prend son linceul et s’en enveloppe le corps. Elle saisit ensuite une poignée de terre du trou d’où elle était sortie et la jette à la figure du curé ; puis elle souffle les deux cierges allumés de chaque côté du catafalque, et part alors, dans son carrosse, avec un bruit épouvantable, si bien que les prêtres pensaient que l’église allait s’écrouler sur eux mais ils n’ont eu aucun mal.

Le lendemain matin, le curé va, seul, trouver Job Kervran dans sa maison, et lui demande s’il était vrai qu’il eût eu de son seigneur quittance de sept années de loyer de sa ferme, qu’il lui devait, pour passer une nuit entière dans l’église ?

— C’est vrai, Monsieur le curé, répondit Job.

— Eh bien ! Je paierai septante années d’avance à ton seigneur, si tu veux passer encore une nuit dans l’église.

— Je ne suis pas assez hardi pour aller ainsi, la nuit, dans les églises ; j’irai cependant encore, au nom de Dieu, et pour gagner quelque chose pour mes enfants.

— Mais, il te faudra demander à la morte ce qu’il lui faut, et me rapporter sa réponse.

— C’est bien, Monsieur le curé, je le ferai.

Job Kervran se rend donc encore à l’église, quand le sacristain va sonner l’Angelus, et il s’étonne de voir les tréteaux funèbres au milieu de l’église, parés comme pour un enterrement riche Il monte encore à la chambre de l’horloge et se met à prier Dieu pour attendre minuit. Pour abréger, il entend et voit comme la première nuit qu’il passa dans l’église. Mais, quand la femme fut descendue, toute nue, dans la terre, il vit un personnage tout vêtu en blanc, comme un ange, venir de la sacristie, tenant un

cierge dans chaque main. Il en plaça un de chaque côté du catafalque.

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