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Le vicaire ne bougea pas de son siège, où il était comme une statue de pierre, et il n’osa souffler mot. Le lendemain matin il raconta à son curé ce qu’il avait vu et entendu.

— Il disait donc vrai, Kervran, dit le curé ; mais je pensais qu’un prêtre devait être plus hardi dans son église qu’un fermier sans instruction qui devait sept années (de loyer) à son seigneur. Et vous n’avez dit mot ? Vous ne lui avez pas demandé, à cette femme, ce qu’elle veut, comme je vous avais dit (de le faire) ?

— Je n’ai pas osé, et vous-même, Monsieur le curé, si vous aviez été là, vous ne l’auriez pas fait non plus.

— Si ! je l’aurais fait ; je ne suis pas si peureux que cela.

J’irai moi-même, cette nuit, à l’église, et je saurai ce que c’est que tout cela ; c’est peut-être une âme en peine, qui ne demande qu’une messe ou une prière pour être délivrée.

Mais le curé, bien qu’il dit qu’il n’était pas peureux, n’osait pas aller, seul, passer une nuit dans l’église, et il demanda à ses deux vicaires de l’accompagner.

Ils vont tous les trois, et ils sont étonnés de voir les tréteaux funèbres au milieu de l’église, ornés comme pour un riche enterrement ou un anniversaire.

— Comment ! dit le curé. Qui est décédé dans la paroisse, s’il y a un grand enterrement, demain, ou un anniversaire ?

— Nous ne savons pas, répondirent les vicaires, nous n’en avons rien entendu.

— Ni moi non plus ; allez demander au sacristain.

Et l’un des vicaires va demander au sacristain. Mais le sacristain aussi n’avait aucune nouvelle (connaissance) que quelqu’un fût nouvellement décédé, dans la paroisse, ni aussi qu’il y eut un anniversaire le lendemain. Il fut lui-même étonné en apprenant que les tréteaux funèbres étaient au milieu de l’église, car il ne les y avait pas placés.

Voilà donc les trois prêtres dans l’église, priant Dieu, en attendant que minuit sonnât.

Aussitôt que fut frappé le dernier coup (de minuit), voilà encore un grand bruit, dans le cimetière, (produit) par le carrosse et les Chevaux à travers les pierres tombales, et un homme vient de la sacristie, passe auprès des trois prêtres, sans faire semblant de les voir, et va ouvrir la porte principale. Aussitôt le carrosse entre dans l’église, avec les trois chevaux noirs, et s’arrête près des tréteaux funèbres. Le postillon et l’autre retirent alors un cercueil du carrosse, l’ouvrent et en retirent le corps d’une femme morte, enveloppé dans son linceul. Les deux dalles se lèvent avec fracas et découvrent un trou noir et profond, dans lequel la femme descend, toute nue, après avoir jeté son linceul sur le pavé de l’église. Alors les deux dalles retombent sur le trou, bruyamment, le carrosse part, l’homme venu de la sacristie ferme la porte et retourne à la sacristie ; et plus aucun bruit…

Le curé, un peu plus hardi que ses vicaires, s’avance alors jusqu’aux tréteaux funèbres, s’empare du linceul, l’emporte et retourne

au pied du grand autel.

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