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Quand sonna minuit, il entendit un grand bruit, dans le cimetière, comme d’un carrosse venant au galop sur les pierres tombales. — « Savoir, dit-il, qu’est-ce qui fait ce bruit, dans le cimetière ? »

Et il vit alors un homme, qu’il ne connaissait pas, venir de la sacristie, tenant une clef à la main ; et cet homme ouvrit la porte principale (de l’église), et aussitôt entra dans l’église un carrosse attelé de trois chevaux. Quand ils (les chevaux) furent au milieu de l’église, ils s’arrêtèrent. Alors le postillon et l’homme qui était venu de la sacristie ouvrirent le carrosse et en retirèrent un cercueil. Job Kervran, en voyant cela, se signa et les cheveux se dressaient sur sa tête, de peur.

Ils déposèrent le cercueil sur le pavé de l’église et l’ouvrirent. Il y avait dedans un corps mort, le corps d’une femme. Ils le retirèrent du cercueil et le tinrent debout. La femme enlève alors le linceul blanc qui l’enveloppait, et le jette sur le pavé de l’église. Aussitôt deux grandes dalles se lèvent avec bruit du pavé et découvrent un trou noir et profond. La femme y descend, toute nue, et son linceul reste sur le pavé de l’église. Alors les deux dalles retombent sur le trou et le recouvrent. Le postillon s’en va, avec son carrosse, et en faisant le même bruit qu’à son arrivée, et l’autre ferme la porte et retourne à la sacristie. Mais le cercueil et le linceul étaient restés au milieu de l’église.

Job Kervran était près de mourir de frayeur ; il continue de prier Dieu de lui faire la grâce d’aller jusqu’au jour, sans mal.

Aussitôt que trois heures furent sonnées, il entendit encore le carrosse qui venait au galop rouge des chevaux par-dessus les tombes du cimetière, si bien qu’il croyait que toutes les pierres tombales devaient être brisées et réduites en poussière.

― Jésus ! s’écria-t-il, ce n’est donc pas fini ? Qu’est-ce qu’il y a encore, mon Dieu ?…

Et il vit encore un homme, le même, venir de la sacristie, avec une clef à la main, pour ouvrir la porte principale ; et le carrosse, attelé de trois chevaux, s’avança encore jusqu’au milieu de l’église. Il s’arrête là, près du cercueil. Et les deux dalles se lèvent encore, avec fracas, du pavé de l’église ; la femme morte sort, toute nue, du trou, prend son linceul et s’en enveloppe le corps. Les deux hommes la couchent alors dans le cercueil, et mettent le cercueil dans le carrosse, qui part encore, avec un bruit épouvantable. L’homme qui était venu de la sacristie ferme la porte à clef et retourne à la sacristie. Job priait Dieu toujours, et trouvait le temps long, et avait hâte de voir venir le jour.

À six heures, le sacristain vient sonner l’Angelus du matin, et il s’empresse de sortir de l’église, heureux de s’en tirer sans mal et d’être quitte des sept années qu’il devait à son seigneur. Il va visiter les pierres tombales du cimetière, croyant les trouver toutes brisées et réduites en poussière. Mais elles étaient comme devant, et il ne vit traces ni de roues ni de pieds de chevaux, ce qui l’étonna. — « C’est la volonté de Dieu ! » se dit-il seulement, et il retourna à la maison. Son seigneur était là, qui l’attendait et qui lui demanda, dès qu’il l’aperçut

— Eh bien, Job, te voilà ?

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