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riait et chantait et racontait les exploits les plus étonnants, la Princesse prit la parole et, s’adressant au roi de Portugal :

— Comment récompenseriez-vous, Sire, un homme qui, par trois fois, aurait risqué sa vie pour vous et vous aurait sauvé des plus grands dangers ou délivré de captivité ?

— Aucune récompense, répondit le roi, ne serait au-dessus des mérites d’un tel homme, et je lui accorderais tout ce qu’il me demanderait

Eh bien ! il y a ici présent un homme qui a, trois fois, exposé sa vie pour moi et m’a délivrée de méchants démons qui me retenaient captive, sous la forme d’une anguille, que m’avait imposée un puissant magicien. Et, montrant Ewen du doigt :

― Le voilà, cet homme, et c’est lui qui sera mon époux, et non votre fils, qui n’a jamais rien fait pour moi.

Grand fut l’étonnement de tous les convives, en entendant ces paroles. Le roi de Portugal, la reine et leur fils, pleins de confusion se levèrent, quittèrent la salle et montèrent dans leur carrosse, pour retourner en Portugal.

Le lendemain fut célébré, en grande pompe, le mariage de la Princesse du Soleil avec Ewen Kerépol, et il y eut à cette occasion pendant quinze jours, des festins et des fêtes magnifiques, et depuis je n’ai pas eu de leurs nouvelles.

Conté en breton par Jean Le Quéré, valet de ferme, à Plouaret, le 20 décembre 1891.



LE LINCEUL DES MORTS

Il y avait une fois un métayer, veuf, nommé Job Kervran, qui n’avait pas payé son seigneur depuis sept ans. Il avait aussi sept enfants, et tous les sept trop jeunes pour pouvoir travailler la terre et gagner quelque chose.

Son seigneur, en passant devant le cimetière de la paroisse, la nuit, voyait souvent des processions faisant le tour de l’église, et il croyait que c’étaient des morts faisant pénitence ; mais il était assez peureux, et il n’osait pas approcher, pour voir (s’en assurer). Et lui d’aller trouver son métayer et de lui dire que, s’il voulait aller passer une nuit dans l’église, il lui donnerait quittance des sept années qu’il lui devait.

Le métayer était pauvre et inquiet, et il promit d’aller. Il se rend donc à l’église, quand le sacristain va sonner l’Angelus du soir. Quand il fut seul dans l’église, les portes fermées à clef sur lui, il s’agenouilla devant l’autel, pour prier ; et il se rendit ensuite à la chambre de l’horloge, dans le clocher, d’où il voyait bien, par une fenêtre, tout ce qui était dans l’église, car la lune était claire. « À la volonté de Dieu ! » dit-il, et il attendit.

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