Page:Luzel - Contes et légendes des Bretons armoricains, 1896.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 335 —


— Oui, tu es le plus gourmand de tous les oiseaux, nous le savons, et tu ne songes qu’à ton ventre. Mais tu sais alors où se trouve le château de la Princesse du Soleil ?

— Oui, je sais où il se trouve.

— Alors, il faut que tu y portes, sur ton dos, cet homme, — et l’ermite lui montrait Ewen, — et que tu l’y rendes promptement et sain et sauf.

— Je le veux bien, répondit-il, à la condition qu’on me fournira à manger, à discrétion, car c’est loin d’ici.

— On te fournira à manger, glouton ; dis-nous ce qu’il te faut de provisions.

— Il me faudra au moins douze moutons.

— Où pourrait-on se procurer douze moutons ? demanda Ewen à l’ermite.

— Je pense, répondit celui-ci, qu’on les trouvera chez un seigneur qui habite dans le voisinage, et qui a beaucoup de bétail.

Ewen se rendit, avec l’ermite, chez le seigneur en question, et, en payant bien, on leur livra douze moutons.

Le lendemain matin, l’on chargea les moutons sur le dos de l’aigle ; Ewen monta sur le tout, puis l’oiseau s’enleva assez péniblement d’abord, et partit. Rien ne l’arrêtait, il passait par-dessus les forêts, les fleuves, les montagnes les plus élevées ; ils franchirent la mer blanche, la mer noire, la mer rouge, et arrivèrent enfin au terme de leur voyage, au château de la Princesse du Soleil. L’aigle déposa Ewen à terre, sain et sauf, comme il l’avait promis, et lui dit, avant de s’en retourner, qu’il se tenait à sa disposition, s’il avait encore besoin de ses services.

Ewen descendit dans le meilleur hôtel de la ville qui s’était formée à l’ombre du château, et demanda les nouvelles du pays.

Il faut que vous veniez de bien loin, lui répondit-on, pour ne pas connaître la nouvelle qui met toute notre ville sens dessus dessous et nous comble tous de joie.

— Je viens, en effet ; de loin ; mais quelle est donc cette nouvelle ; je vous prie ?

— Le mariage de la Princesse du Soleil avec le fils du roi de Portugal, qui sera célébré demain.

— Ah ! vraiment ? Cette nouvelle me comble moi-même de joie, car je suis marchand d’objets précieux, et ce sera, sans doute, pour moi l’occasion de gagner quelque argent.

Le lendemain, Ewen va se placer près du porche de l’église. À dix heures, arrive le cortège, pour la cérémonie religieuse, avec le roi, la reine et les deux fiancés en tête, suivis de toute la cour. Ewen étale son mouchoir de la couleur des étoiles, et tout le monde l’admire. La Princesse a reconnu son mouchoir aussi et l’homme qui le tient, et elle dit :

— Il faut que j’aie ce mouchoir, avant d’entrer dans l’église !

Elle envoie sa femme de chambre pour acheter le mouchoir.

— Combien votre mouchoir, marchand ? demande-t-elle.

— Je ne le donnerai ni pour argent ni pour or, répondit Ewen.

— C’est la Princesse du Soleil qui m’envoie, reprit la chambrière ;

demandez ce que vous voudrez et vous l’obtiendrez.

[ 11 ]