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— Où est Ewen Kerépol, lui demanda la Princesse, en arrivant dans son carrosse doré attelé de quatre dromadaires.

— Hélas ! Princesse, répondit-il d’un air confus, il lui est arrivé comme hier ; il s’est endormi si profondément que je n’ai pu le réveiller.

La Princesse poussa un grand soupir et dit, en présentant au valet un second mouchoir, de la couleur de la lune :

— Voici un mouchoir, de la couleur de la lune, que vous lui donnerez, en lui disant de revenir demain, à la même heure, et en lui recommandant, de ma part, de se bien surveiller, de ne parler à personne et de ne rien accepter de qui que ce soit, sur sa route, car c’est le dernier rendez-vous, et, s’il y manquait, il ne me reverrait plus jamais.

Puis, elle remonta dans son carrosse, d’un air fort mécontent, et partit au galop de ses quatre dromadaires. Gabic alla de son côté, rejoindre son maître, qui venait de se réveiller et manifesta un grand chagrin d’avoir encore manqué son rendez-vous.

Le lendemain, le meunier et son compagnon se remirent en route, pour la troisième et dernière fois. La sorcière était encore sur le seuil de sa porte, quand ils passèrent à Penanménez, et les interpella de nouveau :

— Hé ! mes mignons, vous allez donc encore à la noce aujourd’hui, que vous êtes si farauds ?

Ewen et Gabic ne répondirent pas et pressèrent la marche de leurs chevaux. Mais la sorcière courut après eux et réussit encore à introduire une pomme dans la poche de la veste d’Ewen, sans qu’il en sût rien. Il mangea cette pomme, comme les autres, en arrivant au Rubezen, s’endormit aussitôt, roula de dessus son cheval dans la douve du chemin, et Gabic dut encore aller seul au rendez-vous.

Encore seul ! Où est ton maître ? lui demanda la princesse, en l’abordant.

— Il s’est encore endormi, répondit Gabic d’un air confus, et je n’ai pas pu le réveiller.

— Ah ! le malheureux ! s’écria la princesse, avec un profond soupir. Tiens voilà un troisième mouchoir, de la couleur du soleil, que tu lui donneras de ma part, en lui disant que je suis désormais perdue pour lui et qu’il ne me reverra plus.

Et elle lui donna un troisième mouchoir, remonta dans son carrosse, l’un air courroucé, et partit au galop de ses quatre dromadaires.

Gabic retourna alors auprès de son maître qui se réveillait au moment où il arriva, lui remit le mouchoir de la couleur du soleil et lui rapporta les paroles de la princesse. Il pleura, donna des signes d’un grand désespoir, puis il dit :

— Non ! je ne puis me résigner à ne plus la revoir ; je vais partir à sa recherche, et je ne cesserai de marcher, jour et nuit, jusqu’à ce que je l’aie retrouvée.

Il se rendit au vieux château d’où il avait chassé les diables, remplit ses poches d’or et d’argent et partit.