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— Vous êtes donc bien pressés ? Conte-moi un peu quel est ce mariage.

— Nous craignons d’être en retard et ne pouvons nous arrêter, pour le moment.

— Eh bien ! prends au moins cette belle pomme de mon jardin.

Et la vieille lui présenta une belle pomme rouge. Il la prit et la mit dans sa poche, puis il continua sa route, avec son compagnon. Le temps était chaud, et, comme ils arrivaient au Rubézen, Ewen eut soif et mangea la pomme de la sorcière. Aussitôt il s’endormit si profondément qu’il roula de dessus son cheval dans la douve du chemin. Gabic courut à lui et essaya de le réveiller et de le remettre à cheval. Mais ce fut en vain, rien ne pouvait le réveiller. Voyant cela, Gabic le laissa là avec son cheval, qui ne l’abandonna pas, et alla seul au rendez-vous. Au coup de dix heures, la Princesse arriva sur la place du bourg, dans son beau carrosse doré attelé de quatre dromadaires, et belle et brillante comme le soleil.

— Où donc est Ewen Kerépol, demanda-t-elle à Gabic.

— Hélas ! Princesse, répondit-il, il s’est endormi en route, et si profondément que tous mes efforts pour le réveiller ont été en pure perte.

La Princesse soupira et dit, en présentant un mouchoir au valet :

— Voici un mouchoir de la couleur des étoiles, que vous lui donnerez de ma part, en lui disant de revenir demain, à la même heure, et en lui recommandant de ne parler à personne sur sa route, autrement il lui arrivera encore comme aujourd’hui.

Elle remonta aussitôt dans son carrosse, d’un air mécontent, et partit au galop de ses quatre dromadaires.

Gabic revint rejoindre son maître, qui s’éveillait au moment où il arrivait près de lui. Il lui raconta ce qui s’était passé et lui rapporta les paroles de la Princesse. Ewen parut fort contrarié, et ils s’en revinrent, tout tristes, au moulin.

Le lendemain, ils partirent encore, à la même heure, pour se rendre au bourg de Plouaret. Comme ils passaient devant l’habitation de la sorcière, celle-ci était encore sur le seuil de sa porte et leur cria :

— Où donc vas-tu de la sorte, Ewen Kerépol ? Est-ce encore à la noce ?

— Cela ne vous regarde pas, vieille sorcière, lui répondit Ewen avec humeur.

— Comme tu es peu aimable, aujourd’hui ; écoute-moi donc un peu, j’ai quelque chose à te dire.

Et elle s’approcha de lui, et, sans qu’il s’en aperçut, elle lui glissa une nouvelle pomme dans sa poche. Le temps était encore chaud, et, en passant au Rubézen, Ewen, ayant mis la main dans la poche de sa veste et, y trouvant une pomme, la mangea, sans songer à son aventure de la veille. Et il fut encore pris d’un sommeil irrésistible et roula à bas de son cheval. Gabic fit, comme la veille, de vains efforts pour le réveiller et se décida à se rendre

encore seul au rendez-vous.

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